La "débâcle" de Kongolo

Extrait de mes notes à propos du fils d'un navigant CFL sur les unités fluviales du Lualaba, Marcel TONDELEIR succéda à son père dans les mêmes fonctions et organisa l'évacuation des réfugiés de Kongolo vers Kabalo.

 


A la fin de la décennie des années 90, je fis la connaissance d’un couple, témoins des événements de Kongolo : madame et monsieur Tondeleir; ce dernier, un "navigant" expérimenté de la flottille fluviale du CFL. Il s’était fait un nom sur le Bief Supérieur du Lualaba. Il le connaissait bien ce fleuve. D’autant plus, que les parents de Marcel Tondeleir, contemporains de mes parents à Bukama, navigants eux aussi, bien avant guerre, l’avaient sillonné sur tout son parcours, alors que Marcel était encore gamin... Un après-midi d’été, attablés autour d’un succulent goûter, il me livrait enfin, avec amertume certes, ce qu’il avait sur le cœur : la fuite de Kongolo dans les embrouilles du "plan troubles". Il déplore surtout qu’il a dû, lui un civil, endosser quasi seul la responsabilité des initiatives, alors que l’autorité armée prenait la poudre d’escampette, mis à part le lieutenant Jacquemart et le major Ralet.


 Marcel Tondeleir raconte :

 

"Cette année là, je naviguais sur le Bief Moyen, assurant les intérims des navigants qui prenaient leurs congés". Betty, son épouse, était secrétaire au bureau de l’armement à Kindu. "Quelques jours avant le drame de Kongolo, j’ai été appelé à remplir les fonctions du capitaine d’armement de Kongolo. Ce dernier avait quitté son poste. J’avais pour mission de préparer un départ précipité des agents par voie fluviale jusqu’au poste de M’Bila où un train en attente devait prendre le relais, alors que, (Marcel Tondeleir insiste sur le fait) un convoi par rail devait se former au départ de Kongolo pour une évacuation des femmes et des enfants, le jour même de la mutinerie du camp d’instruction de la F.P.". 

 

"Je ne comprendrai jamais pourquoi l’évacuation ne s’est pas faite par train" dit-il. "Le bateau devait obligatoirement passer devant le camp militaire. Par bonheur nous avons carrément évité une catastrophe lorsque “quelqu’un” a crié aux 300 passagers de se mettre à l’abri à bâbord. En une fois, cette marée humaine a déferlé sur l’autre bord. C’est un miracle si le bateau ne s’est pas couché"…

 

L’ingénieur Jacobs aurait préféré garder Betty à Kindu, le temps de mettre un Congolais au courant de sa fonction. Mais comme la compagnie avait pour principe de ne pas séparer les couples, madame Tondeleir accompagna son mari dans son sillage ! Nous ne connaissions plus personne dans cette localité par le fait que nous avions quitté le Bief Supérieur plusieurs mois auparavant. Nous arrivions donc à Kongolo comme des bleus, ignorant des dispositions du commandement de l’armée et du corps des volontaires quant à l’application du "plan troubles".

 


BARON JANSENS - Luaba superieurL’ingénieur Rubonstein m’avait donné pour mission, explique Marcel Tondeleir, d’approvisionner le "Baron Jansens" en vivres et de le tenir prêt à toute évacuation sans attirer l’attention de l’équipage congolais. Un tour de force que je contournais en expliquant à ces derniers, malgré tout intrigués, que le bateau devait probablement être affecté à "l’opération papyrus”, comme l’année précédente lors de la forte montée des eaux, et qui avait entraîné l’obstruction des chenaux navigables par ces îlots flottants. D’autres difficultés tactiques m’ont compliqué l’existence :


· Il fallait résoudre le problème de la chauffe. En effet, j’avais du charbon comme combustible alors que les grilles des chaudières n’avaient pas encore été converties. Auparavant le combustible employé était le bois, il en restait quelques stères pour l’allumage !

· Afin de pouvoir quitter le quai précipitamment, je fis placer une ancre reliée au bateau par un gros câble, au milieu du fleuve. Le cas échéant, il m’était alors possible de larguer les amarres, de m’écarter assez loin de la berge. Ainsi maintenu par cette ancre afin de ne pas être précipité dans les rapides bien connus des "Portes d’Enfer”, j’avais le temps de lancer les chaudières, sachant bien que je n’atteindrais jamais le maximum de pression. Bref, c’est dans ces circonstances pour le moins ambiguës, que cet après-midi du 8 juillet, j’étais convié à l’hôtel "Lualaba” en vue de participer à une réunion du corps des volontaires et de l’armée pour y recevoir les nouvelles instructions de la “ commission troubles”.

· De ce que retient Marcel Tondeleir, les officiers blancs de la F.B. se montraient garants de la sécurité dans la localité, et même en cas de rébellion, tout avait été prévu pour les empêcher d’atteindre l’arsenal - " il n’y avait qu’à appuyer sur un bouton" - si je me réfère aux notes de Gérard Jacques dans son livre “ Lualaba”, il s’agit d’une initiative du commandant de la place a.i Crèvecoeur, remplaçant le Major Ralet, toujours sur place …

· Rien ne pourra être cependant reproché au major Ralet en congé à ce moment. Sa décision de rester, pour tenter de garder la maîtrise de camps alors qu’il est en congé, en est la preuve.

…Je me souviens que c’est à ce moment quo nous avons été alertés que les soldats se mutinaient. Dare-dare, on rassembla toute la population européenne et l’on décida de diriger tout le monde sur les quais et d’embarquer sur les bateaux. Pendant que le tenancier de l’hôtel, monsieur Hulet chef du corps de volontaires, se dépêchait d’ameuter les religieuses et les pères de la Mission. Ces derniers refusèrent de quitter, tandis que les sœurs embarquaient par "le toit” du "Prince Léopold". La plupart des officiers européens de la F.B. s’étaient précipités sur le petit baliseur « Kadia » (par définition : une « unité » de l’Etat). Ils furent montrés du doigt par la population civile, critiquant cette attitude d’abandon total. Tandis que le différend se réglait entre les deux officiers supérieurs, Crèvecoeur décidait de poursuivre sa fuite, avec à sa suite quasi tous les autres. Quelques militaires s’étaient embarqués sur le “ Janssens” et voulurent s’assurer l’autorité à bord. Le chef du C.V. Hulet, s’insurgea. Il renvoya ceux-ci au pont inférieur en les priant de ne plus se manifester, le commandement appartenant dès à présent à lui, et à Marcel Tondeleir, maître du bateau. Le "Baron Janssens" avait maintenant quitté la berge, laissant le major Ralet sur le quai. Celui-ci dans une dernière tentative invitait ses hommes pris de panique, à se reprendre …

Ces suppliques de la part d’un officier vis-à-vis de ses subordonnés laissaient planer... (à tort, mais il faut savoir que la vindicte populaire est souvent sans pitié) dans l’esprit des réfugiés d’une armée sans autorité, abandonnée par ses chefs et en totale déroute.

… A bord, quelques volontaires, s’activaient à faire monter la pression des chaudières... Les religieuses ne manquaient pas d’huile de bras et remontaient le charbon dans des seaux. Malgré un clair de lune des plus brillant, j’avais interdit tout feu pouvant nous faire repérer. Monsieur Hulet recommanda de ne point riposter pour la même raison. Lorsque enfin les machines accusèrent assez d’énergie pour remonter le fleuve je commandai au télégraphe une marche avant, mal interprété par le mécanicien de fortune, celui-ci envoya une marche arrière… Comme je connaissais le fleuve par cœur, je suis passé le plus loin possible du camp militaire, donc en dehors de la passe navigable. Après avoir essuyé un tir nourri en passant devant le camp militaire de Kongolo, je fis une halte par le travers du poste de la "Cotonco”, afin de permettre à la pression de remonter. Je fus informé discrètement par une religieuse qu’une personne avait été tuée. Pour éviter d’ameuter les fugitifs, je fis descendre le corps dans la cale. Nous avons continué notre remontée vers Kabalo jusqu’à M’Bila où normalement un train était prévu comme indiqué plus haut. Le chef du corps des volontaires, monsieur Hulet, n’apercevant aucun signe de terre me fit repartir après une heure d’attente. C’est alors, après quelques heures de navigation par cette nuit de pleine lune, que j’aperçus, venant à notre rencontre, des lumières descendant le fleuve. Il s’agissait du baliseur "Kisale" envoyé de Kabalo pour se mettre en couple avec le "Baron Janssens". Cela se révéla pour moi un soulagement, car j’étais debout seul à la barre depuis plusieurs heures, sans contact radio; nous n’étions plus renseignés de l’évolution des événements, complètement isolés du reste du monde ! En effet notre émetteur récepteur transformé pour le courant de terre, ne fonctionnait plus avec le courant du bord, du courant continu 120 V. Le baliseur "Kisale" nous a été d’un grand secours sur 2 points essentiels :


1. Couplé avec le "Baron Janssens” qui remontait le fleuve à la vitesse horaire de 5 KM/H, nous permit de forcer l’allure ;

2. le " Kisale” possédant à son bord une station émettrice réceptrice en ordre de marche, nous pouvions enfin établir une liaison radiophonique.


Le lieutenant Jacquemart qui se trouvait à Kabalo ordonna que toutes les armes soient jetées par-dessus bord afin d’éviter des représailles de la part des soldats à notre arrivée à Kabalo. Je ne pus m’y résoudre, et dissimulai mon fusil. A notre arrivée dans ce poste, malgré les 300 impacts de balles relevés sur le "Baron Janssens”, nous n’avions malheureusement qu’à déplorer 1 mort et 2 blessés. Les militaires perquisitionnèrent de fond en comble chaque personne. Heureusement le lieutenant Jacquemart, qui fut tué quelques semaines plus tard à Malemba N’Kulu lors d’un affrontement armé contre des Balubas dissidents, avait encore de l’ascendant sur ses hommes. C’est grâce à lui, que l’embarquement dans les compartiments du train se fit sans trop de mal; et madame Tondeleir d’ajouter : "lorsque nous avons quitté Kabalo, cet hommage surprenant nous fut rendu, en passant devant les troupes du lieutenant Jacquemart au garde à vous, nous ont présenté solennellement les armes. Malgré mes craintes d’un geste sournois, avec ma fierté par-dessus toute ma fatigue, je suis restée debout pour recevoir cet honneur".

Betty, accompagnée de ses deux enfants, regagna l’Europe via Dar es Salam, par le premier convoi de réfugiés vers Kigoma. Marcel Tondeleir, hébergé à "Hôtel du Lac” repartait le lendemain matin vers Kabalo. C’était "un ordre de la Direction " ...

Jean-Louis GABRIEL

9H40 - Train de réfugiés venant de KONGOLO entre en gare Train de réfugiés de KONGOLO en gare d'Albertville
Une section du corps de volontaires d'Albertville (Paul Galland à l'extême gauche)