La CFL et la révolte des Baluba

Albertville, au centre, le lt von Bayer avec deux officiers irlandais Camions de l'ONU sur la route d'Albertville Le wagon plat précédait le convoi et la loco saccagée par les rebelles

 

Patrouille de soldats irlandais sur la voie du CFL Les locos incendiées Les locos incendiées Vue des deux locos près de la Lukuga

 

Quelques semaines après la sécession du Katanga, la situation se détériora de manière dramatique dans le nord du pays où un vaste territoire était tombé aux mains de la Balukabat. Drogués et baptisés par leurs sorciers, les rebelles semaient la terreur et se livraient à une véritable épuration ethnique contre les tribus qui soutenaient Moïse TSHOMBE. Les conquêtes des partisans de Jason SENDWE se succédèrent et les deux rives du Lualaba, de Kabalo à Malemba Nkulu, tombèrent aux mains des Baluba, tandis que les troupes lumumbistes parvenaient à la frontière. La révolte des Baluba s’étendit à la localité minière de Manono qui devint un bastion de la rébellion.

Suite à une décision de l’ONUC, une vaste région du nord du Katanga fut convertie en noman's land où les casques bleus furent chargés du maintien de l’ordre. La localité de Kabalo, plaque tournante de la ligne ferroviaire des Chemins de Fer des grands Lacs (CFL) et port fluvial sur le Lualaba, fut coupée de Kongolo et de Kabongo, tandis que le trafic du CFL vers Albertville était maintenu au prix de grandes difficultés, dues notamment aux sabotages de la ligne. Le chemin de fer BCK entre la capitale katangaise et le nord de la province connaissait également des difficultés et la production des mines de cuivre, véritables poumons économiques du pays, prit le chemin de l’Angola ou de l’Afrique du Sud. Un important matériel ferroviaire était bloqué à Kabalo, dont 164 wagons marchandises, quatorze wagons frigo, sept wagons voyageurs, trois locomotives diesel, deux locomotives à vapeur et deux nouvelles draisines.


A Albertville, la direction du CFL mit l’ONUC devant ses responsabilités car il fallait désengorger à tous prix le port d’Albertville, or les machinistes congolais qui conduisaient les locomotives refusaient de se rendre à Kabalo car ils craignaient pour leur vie. Le gouvernement katangais voulait que le trafic ferroviaire soit assuré et c’était également l’intérêt de l’ONUC car une partie de son ravitaillement provenait de Kigoma. Les casques bleus irlandais et éthiopiens en garnison à Niemba et à Kabalo risquaient de manquer de vivres. Le lieutenant Stig von BAYER, officier du contingent suédois de l’ONU, détaché comme interprète auprès du 33th bataillon irlandais stationné à Albertville, se porta volontaire pour apprendre à piloter une locomotive diesel. Il se rendit à la mine de charbon de Makala-Greinerville, située à 13 km d’Albertville et gardée par la gendarmerie Katangaise, pour recevoir un cours accéléré de machiniste sur une des six locomotives diesel du CFL. Peu après, le lieutenant von BAYER effectua une reconnaissance de la ligne vers Niemba aux commandes d’un train. Le convoi était escorté de casques bleus irlandais et un major Ethiopien l’accompagnait en tant qu’officier de liaison (Field liaison officer : il dépendait directement du QG de l'ONUC à Léopoldville). La locomotive diesel dut s’arrêter quelques kilomètres avant Niemba car les Balubas avaient enlevé les rails et encerclaient les occupants du train en les menaçant de leurs armes. Le major éthiopien qui se prétendait un expert du dialogue avec les Congolais, voulut descendre du convoi pour parlementer avec les rebelles.

Il demanda au lieutenant von BAYER de l’accompagner car il parlait parfaitement le Swahili. L’officier suédois l’avertit que c’était impossible de dialoguer avec ces guerriers balubas car ils étaient drogués, mais le major insista. Dès qu’ils descendirent du train, ils furent entourés par des dizaines des Balubas et un des guerriers rebelles appuya son pou pou contre l’estomac du lt von BAYER en lui disant que c’était avec cette armes qu’il tuait les blancs. L’officier écarta l’arquebuse locale avec mépris. La situation commença à dégénérer et le major, brutalement bousculé par les guerriers, se rendit compte que l’officier suédois avait raison. Ils reculèrent lentement vers le train où les irlandais encerclés par des Baluba se battaient à coups de crosse pour empêcher qu’ils prennent leurs armes. Il suffisait d’un seul coup de feu pour provoquer un massacre, mais par miracle, les rebelles laissèrent les deux officiers remonter dans le train. Le lieutenant von BAYER reprit sa place au poste de pilotage et le convoi fit marche arrière vers Albertville. Le lendemain, un autre convoi escorté par des troupes nigériennes tenta de rejoindre Kabalo, mais les Balubas avaient enlevé les rails près d’un petit pont. Les deux locomotives diesel stoppèrent à temps, mais le wagon de protection placé en tête dérailla. Les wagons furent décrochés sous la garde des casques bleus et une motrice venue d’Albertville les ramena au point de départ. Les deux locomotives endommagées furent laissées sur place et elles furent saccagées et incendiées par les balubas.


© J.P. Sonck