"Le système d'attaques contre l'Etat du Congo"

Voici  un article paru dans ''La vérité sur le Congo', que j'ai dactylographié.  La date ne s'y trouve pas mais on peut la situer au début des années 1900 d'après les articles et lettres y repris.

Ce document, portant le n° 325/6 se trouve aux archives du Ministère des Affaires étrangères à Bruxelles. Le texte y paraît en anglais, français et allemand. El. Janssens - mai 2005


''Les accusations dirigées ces derniers jours contre l'Etat du Congo caractérisent le procédé habituel de ses adversaires, qui consiste, soit à présenter les faits sous un faux jour, soit à les affirmer sans aucun élément de preuve.  Tel est le cas pour les griefs articulés par des missionnaires protestants, le Dr H. Grattan Guinness et le Rév. Scrivener.

M. Grattan Guinness annonce, avec emphase, aux journaux anglais que, d'après les nouvelles qu'il vient de recevoir, plusieurs de ses missionnaires descendant le Congo, de Yakussu à Basoko, ont été témoins de scènes qu'ils intitulent ''massacres et cannibalisme par la soldatesque du Congo''.  Le titre est, comme toujours, intentionnellement choisi pour faire impression, mais lorsqu'on lit le récit même des missionnaires, on constate que, se trouvant à bord du steamer Goodwill, ils auraient vu en un endroit de la rive, qu'ils ne précisent du reste pas, des cadavres d'indigènes qu'ils prétendent avoir été destinés à un repas de cannibales.  Que ce fût là un cas de mise en pratique d'une odieuse coutume, il n'y aurait rien d'impossible, car, malheureusement, malgré les enseignements des missionnaires protestants, l'anthropophagie n'a pas totalement disparu.

Mais, où le parti pris habituel des missionnaires se révèle, c'est lorsque, constatant la présence de la force publique sur les lieux, ils lui attribuent la responsabilité des meurtres commis.  Des esprits non prévenus auraient pu supposer que la fore militaire s'était rendue sur le théâtre du crime, précisément pour en châtier les auteurs.  Mais il convient davantage, aux besoins de la cause, de représenter odieusement les officiers belges comme complices d'un hideux forfait.  Les missionnaires n'ont même pas eu l'impartialité, avant de lancer leur accusation, d'attendre le

résultat de l'enquête judiciaire qu'ils reconnaissent avoir été ouverte sur les faits.

Si nous adoptions le procédé des missionnaires protestants, nous ferions grand état de révélations que publie le Standard du 14 janvier à propos d'une expédition militaire dirigée récemment par l'administration anglaise contre la tribu des Mkpanis dans la Nigérie du Sud.

Cette expédition était motivée, aux dires du grand journal anglais, par cette raison, entre autres, que les Mkapnis persévéraient ''à tuer et à manger les étrangers qui entraient dans leur pays''.  Les détails suivant donnent une idée de ce que les Anglais entendent par punitive expedition suivant le terme consacré :

            ''A Ugep, on rencontre une résistance décidée, et comme les rues étaient très étroites et que le fourré épais entourant le village était fortement défendu au moyen de retranchements, ce fut une chose très difficile que de mettre le convoi dans une position sûre.  Quoi qu'il en soit, après une demi-heure d'un vif combat, presque corps à corps,  le village fut nettoyé.  Comme les huttes étaient très dispersées, le major Mackenzie décida que la seule façon de s'y maintenir avec les troupes dont il disposait était de le brûler.   Tandis qu'on mettait cette mesure à exécution, le fourré au nord de la place fut coupé en grande hâte pour le camp à la tombée de la nuit, les troupes étaient toutes établies dans le camp, avec de doubles sentinelles postées tous les cent yards en vue l'une de l'autre.

                ''Le matin suivant, une partie de la colonne fut envoyée brûler la partie occidentale de la place, qui avait échappé la veille au soir; l'ennemi ouvrit tout à coup un feu nourri et fit un effort décidé pour sauver le reste de la ville.  Des renforcements furent aussitôt dépêchés du camp et avec l'aide d'un Maxim, l'ennemi fut graduellement repoussé dans le fourré, d'où il dirigea un feu continu pendant tout le restant du jour.  Peu après la tombée de la nuit le soir suivant, on annonça que l'ennemi se rassemblait en fore dans l'endroit où il avait livré une si vigoureuse résistance le matin précédent.  Le canon fut mis en action et trois shrapnels furent amplement suffisants pour le disperser.  Le 5 décembre, un détachement prit 70 chèvres et quelques vaches, et le même soir un messager vint dire que les Mkpanis désiraient se soumettre.  Les principaux chefs arrivèrent au camp le matin suivant.  Le major Mackenzie leur déclaré que le seul signe de soumission serait la remise de tous leurs fusils le lendemain;  Les fusils furent apportés, non sans hésitation, et furent détruits; les chefs furent conduits au fonctionnaire civil qui leur expliqua une fois de plus les conditions exigées par le Gouvernement.  Les pertes de la colonne furent 2 tués et 28 blessés (y compris deux officiers anglais sans commission) et les chefs Mkpani rapportèrent qu'ils avaient eu 200 tués et que le fourré était plein de blessés''.

''Comme le disait le Dr H. Grattan Guinness, ces incidents prouvent : 1° que les autorités anglaises sont parfois amenées à réprimer sévèrement des actions d'insoumission des tribus indigènes;  2° que les soldats anglais, si l'on en juge par le nombre d'indigènes tués et blessés dans cette seule expédition, font peut-être abus de la force et, 3° que leurs officiers ne semblent pas leur imposer une bien forte discipline, puisqu'ils ne peuvent empêcher de semblables hécatombes d'un ennemi moins bien armé.

***

''C'est maintenant le tour du missionnaire Scrivener.  Il a fait un voyage en juillet et août dernier au lac Léopold II, et il envoie ses notes de voyage à M. Morel en exprimant l'espoir que ''son témoignage pourra servir dans sa campagne contre l'Etat du Congo''  .  La tendance se manifeste déjà.

Chose curieuse, dan ses notes de voyage publiées dans la West African Mail du 8 janvier dernier, ce que le missionnaire à vu, de ses yeux vu dans les postes de l'Etat, ne soulève pas de critique.  Il est arrivé à une grande station de l'Etat, nommé M'Bongo.

''Je n'ai jamais vu, dit-il, un poste mieux tenu jusqe dans les plus petits détails; je n'ai jamais entendu dire que du bien de l'agent du poste et dans la station je n'ai rien vu qui fit exception.

''Il a constaté, d'autre part, que l'indigène était rémunéré pour son travail, notamment en sel et en étoffe, mais il estime - affaire d'appréciation personnelle - que cette rémunération n'est pas considérable.  Il ajoute que le ''magasin à caoutchouc de cette station était vraiment une très jolie construction, et on en aurait fait une splendide église''.

A côté de ce qu'il a vu, il y a tout ce que le missionnaire a entendu; sur des on-dit, il échafaude une série d'accusations de cruauté contre des agents de l'Etat dont il tait prudemment le nom.  Inutile de dire que, selon le procédé habituel, il n'a pas dit un mot de ses découvertes à aucun des fonctionnaires de l'Etat avec lesquels il s'est trouvé en rapport sur place, et auxquels il s'est borné à demander des avances de marchandises.  D'une manière générale, le Rév.  Scrivener déclare que, d'après ce qu'on lui a dit, la dépopulation de la région qu'il a traversée serait due aux mesures oppressives de l'Etat pour la récolte du caoutchouc.  Nous n'avons d'autre réponse à lui faire que celle de l'agent de l'Etat qu'il met en cause, et qui nous a adressé la lettre suivante :

''La Pinte (près Gand), le 12 janvier 1904

''Monsieur le Directeur,

''Je lis dans les journaux anglais le compte rendu du voyage du missionnaire protestant Scrivener dans la région du lac Léopold II.  Sans y citer mon nom, ce missionnaire me met directement en cause, par les détails précis de lieux et de dates qu'il donne du séjour de l'agent de l'Etat auquel il impute d'odieux actes de cruauté.

''N'étant pas convaincu que les journaux anglais qui ont publié l'attaque publieraient ma protestation, je vous serais bien reconnaissant, Monsieur le Directeur, de lui donner l'hospitalité dans vos colonnes.

''C'est moi qui ai fondé les postes de Mbongo en 1899 et de Mbelo en 1900.  C'est moi qui, comme le dit M. Scrivener, ai été en résidence à Mbelo pendant sept mois.  Je suis donc suffisamment désigné pour lui infliger un démenti catégorique qu'appellent ses affirmations.  Je n'ai pas eu pendant ces sept mois de difficultés avec les populations environnantes : les indigènes ont toujours reconnu mon autorité sans que j'aie dû jamais l'imposer.  A Mbelo se trouvait, pendant mon séjour, une agglomération de 3 à 400 habitants; dans les environs étaient épars de très petits villages comptant au maximum une cinquantaine d'habitants.  Cette population si peu dense a été frappée à la fin de mon séjour d'une épidémie de variole qui a fait de nombreuses victimes.  Je me souviens qu'à raison de cette circonstance la population a été exemptée de tout impôt.

''C'est une infamie d'imaginer que j'aurais, à M'Bongo ou ailleurs, tué ou fait tuer des indigènes sous prétexte qu'ils n'apportaient pas du caoutchouc.  J'affirme que tous les détails, visant à l'effet dont le missionnaire corse son récit sont de pures calomnies, et si réellement M. Scrivener les a recueillis de la bouche d'indigènes, il n'est pas digne d'un missionnaire chrétien de s'en faire l'écho sans s'être inquiété d'en vérifier la véracité.

''Pour donner une base à ses allégations, le missionnaire grossit à dessein le chiffre de la population de la région, pour prétendre qu'elle se trouve aujourd'hui presque réduite à rien par suite du régime de terreur que j'aurais établi. La vérité est que la région que j'ai habitée était peu populeuse, et que l'épidémie de variole que j'ai signalée comme ayant sévi à Mbelo, a fait des ravages tout aussi grands dans les environs d Bongo.

''Les derniers mois de mon séjour à Bongo furent même consacrés à enrayer le fléau.  J'ai eu à introduire l'usage du vaccin, avec l'aide d'un autre agent de l'Etat, du nom de Hollebeek, aujourd'hui médecin.  J'ai appris par la suite que l'épidémie qui avait diminué d'intensité en 1901 a fait sa réapparition en 1902, et qu'un autre fléau, la maladie du sommeil, commençait à faire aussi des victimes.

''Tel est, Monsieur le Directeur, la vérité : ce n'est pas la première fois que des missionnaires protestants la dénaturent.  Il serait facile au Rév. Scrivener de prouver ses dires : il prétend, en effet, que ''beaucoup de ses effrayantes histoires proviennes d'agents actuels de l'Etat qui, s'ils y étaient légèrement encouragés, seraient prêts à redire tout ce qui s'est fait''.

''Les accusations que M. Scrivener dirige contre moi sont assez graves pour que je le somme de donner le nom de ces agents, et s'il s'y refuse, il sera établi que ses accusations n'ont pas de fondement.

''Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l'expression de mes sentiments distingués''
 

 C.G. Massard, Sous-Lieutenant de la Force publique