L'opération "Dragon Rouge"

Suite | Sortir

La Patrie ou la Mort


De retour à Evreux, le colonel Gradwell planifia le transport des troupes et du matériel nécessaires à l’opération avec les officiers américains de son Etat-Major, dont le ltcol Adams, représentant du Tactical Air Comand, et le major Poore, son officier d’opérations. Le col Gradwell avait prévu douze appareils pour la mise en œuvre de Dragon Rouge, un appareil supplémentaire serait gardé en réserve et un appareil servirait à assurer la maintenance de l’escadre aérienne. Il avait également prévu deux opérateurs du « Combat Control Team » et du matériel de télécommunication pour la tour de contrôle de Stanleyville, du personnel de maintenance supplémentaire et des pièces de rechange pour les Lockheed C-130E Hercules, dont un moteur Allison de 4510 chevaux et une hélice Hamilton. Les communications radio de l’opération Dragon Rouge entre le QG d’USSTRICOM, l’ambassade américaine à Léo et les gouvernements de Washington et de Bruxelles, seraient assurées par deux Lockheed C-130 Hercules « Talking Bird », dont un était déjà sur place. Bien que l’USSTRICOM n’avait pas été invité à participer à la conférence de planification de Bruxelles, le brigadier général Dougherty de l'USEUCOM recommanda que le général Adams soit responsable de l’opération Dragon Rouge. Le dossier « OPLAN 319/64 » fut communiqué au Quartier Général d’USSTRICOM à MacDill Air Force Base et le général Adams émit plusieurs critiques, notamment que les cinq Lockheed C-130E Hercules de la première vague feraient d’excellents objectifs pour les armes anti-avions que les Simba avaient installé près de la piste.

Selon le commandant en chef d’USSTRICOM, il fallait réduire la DCA au silence avant le parachutage pour éviter la perte d’un ou de plusieurs Lockheed C-130E chargés chacun de 64 parachutistes. Il envoya deux représentants à la deuxième conférence de planification qui se déroula à Bruxelles du 18 au 20 novembre. Des opérations parachutées étaient prévues pour sauver les ressortissants occidentaux dans d’autres localités et des plans furent étudiés pour l’exécution de Dragon Blanc à Bunia, de Dragon Vert à Watsa et de Dragon Noir à Paulis. Pendant ce temps à Stanleyville, le président Gbenye annonçait dans l’édition des 14 et 15 novembre 1964 du journal « Le Martyr », organe de combat du CNL publié à Stanleyville, dont la devise était « La Patrie ou la Mort » : « L’arrivée à Stanleyville des Américains signifierait la disparition de tous les Belges et les Américains qui sont sous notre surveillance » et il ajoutait : « Nous fabriquerons nos fétiches (Dawa) avec les cœurs des Américains et des Belges et nous nous habillerons des peaux des Belges  et des Américains ». Le 18 novembre, les diplomates américains et le missionnaire Paul Carlson internés à la prison furent conduits au monument Lumumba sous les hurlements de la foule. Après une parodie d’exécution, le lieutenant général Olenga les embarqua dans sa jeep vers la résidence du président de la république populaire. Christophe Gbenye apparut au balcon et annonça au peuple que l’Américain Paul Carlson avait été condamné par le tribunal populaire et qu’il serait fusillé le lundi 23 novembre à l’aube. Les Américains furent reconduit ensuite à la prison, mais le 20 novembre, ils furent sortis de leur cellule pour être conduits à l’hôtel Victoria car le président Jomo Kenyatta avait annoncé sa visite. Radio Stanleyville annonça la nouvelle de la condamnation à mort du docteur Carlson le soir même.

La garnison de l’Armée Populaire de Libération comptait près de 8000 Simba, dont le noyau dur était constitué de quelques centaines de déserteurs de l’ANC et de guérilleros, appuyés par des milliers de « Jeunesses MNC », des adolescents fanatisés qui n’avaient aucune expérience guerrière. Ils s’étaient montrés particulièrement cruels lors des exécutions publiques au monument Lumumba où 300 Congolais avaient péri et ils démontraient une grande agressivité envers les Occidentaux. Près de trois mille de ces Simba étaient cantonnés au camp sergent Ketele, d’autres occupaient le camp Léopold, le camp du 18e Bn commando de Choc et l’aérodrome et quinze cents campaient au camp Prince Charles sur la rive gauche. Des sorciers chargés de dispenser les remèdes magiques « Dawa » et de baptiser les rebelles contre les balles s’étaient établis aux abords des camps et déclaraient les nouvelles recrues bonnes pour le service de guerre après une cérémonie d’initiation et un serment solennel. Une incision leur était faite entre les deux yeux et trois autres sur la poitrine, mais malgré leur « Dawa », les Simba avaient subi de nombreuses pertes au cours des combats de Bukavu, de Kindu, de Boende et de Bumba. Pendant ce temps, le colonel Laurent s’était rendu à Diest où était cantonné le 1er bataillon, seule unité pleinement opérationnelle du régiment Paracommando .

Cette unité se composait de la compagnie Etat-Major et Services du cpn Ramaeckers, dont les dactylos, magasiniers, employés, radios, cuisiniers, chauffeurs, tireurs mortiers, etc, seraient transformés en fusiliers, de la 11e compagnie de fusiliers du cpn Pairelincks, de la 13e compagnie de fusiliers du lt Patte et il incorpora dans ses effectifs seize officiers et sous-officiers, moniteurs de sauts au Centre d’Entraînement Parachutiste du major Ledant, qui seraient responsables du parachutage. Le raid aéroporté  nécessitait l’emploi de trois compagnies de fusiliers au complet et le colonel Laurent ne pouvait réactiver une compagnie de réserve sans l’accord des parlementaires. Il ne pouvait pas non plus mobiliser les vétérans du 3e bataillon parachutiste car cela aurait attiré l’attention sur le régiment et il choisit la 12e compagnie du 2e bataillon commando de Flawinne, dont les miliciens avaient cinq mois d’entraînement, dont les sauts en ballon, mais n’avaient ils jamais été parachutés d’un avion. Les 140 commandos du Capitaine Raes seraient aérotransportés, mais il était prévu de les équiper de parachutes TAP 665 pour qu’ils puissent sauter en cas de besoin.

Les parachutistes à l’Ascension


En vue des opérations, le colonel Laurent constitua un Etat Major réduit qui se composait du major Rousseaux du 2e Bn commando, du major Hardenne, désigné comme officier d’opération S3, du commandant Holvoet S2, du cpn Lauwers et du ltcol Avi Cailleau, « Air Liaison Officer » de Dragon Rouge. Une partie des C-130E de la 322th Air Division était en mission et il fallut les rappeler en 24 heures de temps à la base d’Evreux. Ils subirent une rapide maintenance avant d’être envoyés dans la soirée du 16 novembre à l’aérodrome de Kleine Brogel pour embarquer les troupes du colonel Laurent sous le couvert de manoeuvres en Turquie. Le 17 novembre, les parachutistes et le matériel nécessaires à l’opération sur Stanleyville furent amenés à l’île de l’Ascension après une escale à Moron en Espagne. Le jour suivant, les hommes s’entraînèrent à sauter en parachute à partir des C-130, avant de rejoindre la base de Kamina qui était plus proche de l’objectif. Lors d’un briefing avec bac à sable et photographies aériennes de Stanleyville prises par un Boeing RC 97 de reconnaissance, le colonel Laurent annonça la décision de dropper ses bérets rouges sur l’aérodrome, plutôt que sur le golf. Le 19 novembre, le personnel de « Ravitaillement Air » (RAVAIR) du centre d’entraînement parachutiste quitta Zaventem en Boeing 707 SABENA avec l’antenne chirurgicale de l’hôpital militaire d’Anvers et du ravitaillement.

Suite à l’annonce le 20 novembre par M. Spaak de la présence des parachutistes belges sur l’île de l’Ascension, le général Olenga renforça les défenses de l’aérodrome avec 200 Simba. Le 21 novembre vers 10H00, les Lockheed C-130E Hercules du col Gradwell déposèrent les troupes belges à Kamina Base et le cpn Don Strobaugh débarqua avec deux « combat controller » du 5th USAF « Aerial Port squadron » pour occuper la tour de contrôle de Lumwe. Après un dernier briefing sur l’opération, les paras belges se reposèrent dans un des hangars de l’aérodrome de Baka en attente de l’ordre d’embarquement. Leur armement individuel se composait de fusils FN Fal M3 7,62 mm de type Parachutiste pour la troupe et de mitraillettes Vigneron ou de pistolet GP 9 mm pour le cadre. Chaque parachutiste emportait un « Basic Loads » de cent cartouches de 7,62 mm ( un chargeur de vingt cartouches sur l’arme et quatre chargeurs dans les poches de leur tenue de combat ). L’agence de renseignements américaine préparait également une mission spéciale avec l’accord d’USSTRICOM. Cette mission terrestre, qui portait le nom de code de « Low Beam Force », se composait d’un groupe de 18 Cubains, recrutés et dirigés par l’agent de la CIA William « RIP » Robertson, alias « Carlos », ancien instructeur de la brigade 2506 qui avait débarqué à la baie des Cochons à Cuba en 1961. Ce groupe fut intégré dans la 5e Brigade Mécanisée de l’Ommegang en tant que 58e peloton du 5e Bn commando de Mike Hoare. Il était chargé de libérer le consul Hoyt, le vice consul  Grinwis de la CIA et d’autres captifs américains de Stanleyville en coopération avec l’Ommegang.

Sur l’insistance du général Adams, la CIA prévoyait d’assurer l’appui aérien de l’opération Dragon Rouge avec des T-28D et des B-26K du WIGMO et le col Isaacson, chef de la Joint Task Force, débarqua à Baka pour coordonner ce support aérien, tandis que le col BEM Vandewalle, commandant la 5e Brigade Mécanisée, rejoignait la base en bimoteur DC-3 de la Force Aérienne Tactique Congolaise ( FATAC ) pour proposer au col Laurent d’organiser le parachutage de ses troupes sur d’autres localités pendant que la colonne Ommegang attaquerait Stanleyville à partir de Lubutu. Cette proposition fut refusée et le seul résultat de cette entrevue fut de prévoir un moyen de reconnaissance pour éviter que les parachutistes ne tirent sur les hommes de la 5e Brigade Mécanisée à leur arrivée. A cette réunion d’EM improvisée participaient également le ltcol Avi Bouzin et le ltcol Avi Vandepoel, commandant de la FATAC, mise en œuvre par des aviateurs belges à partir de Baka. Dans la soirée du 22, les troupes belges furent mis en alerte et prirent place dans les Lockheed C-130E du colonel Gradwell pendant que Washington et Bruxelles discutaient du déclenchement de l’opération pour le 23 novembre à l’aube. Aucun ordre de départ ne fut donné après le premier mot code « Big » et le colonel Laurent donna l’ordre à ses hommes de débarquer pour leur éviter une fatigue inutile.

La mission de reconnaissance « Running Bear », effectuée par un Boeing RC-97 au-dessus de la capitale rebelle, confirma que l’aérodrome était encombré de centaines de fûts de 200 litres et d’épaves de véhicules. On spéculait également sur la possibilité que les Simba avaient évacué les otages vers Basoko, un village ville situé au bord du fleuve Congo à 190 km au nord-ouest de Stanleyville (une telle tentative eut bien lieu, mais le consul belge Nothomb parvint à bloquer le convoi sur la route de Banalia). Avant l’avance finale de la 5e brigade vers Stanleyville, la CIA fit connaître au ltcol Avi Bouzin les restrictions imposées aux appareils de combat du WIGMO qui effectuaient des missions pour l’Ommegang à partir de Kindu : les pilotes cubains des B-26K pouvaient effectuer des reconnaissances lointaines jusqu’aux faubourgs de Stanleyville et au-delà, mais tout survol de la capitale rebelle était interdit jusqu’au parachutage des troupes aéroportées pour éviter des représailles contre les otages. Le WIGMO pouvait cependant effectuer des missions de combat jusqu’à 260 kilomètres en avant de la colonne Ommegang. Le conseiller Air du QG/ANC communiqua ces restrictions de vols au colonel BEM Vandewalle et au ltcol Avi Vandepoel de la FATAC. Heureusement, la 5e Brigade bénéficiait de l’appui aérien très efficace des T-6G du cpn Bracco (21e escadrille d’Appui Tactique de la FAC).

L’appui aérien de Dragon Rouge

L’appui-feu prévu pour le parachutage était sous la responsabilité du ltcol Avi Cailleau, « Air Liaison Officer » de Dragon Rouge à Baka. Outre deux bimoteurs Douglas B-26K, dont l’un serait occupé par le ltcol Avi Bouzin, le WIGMO engageait deux monomoteurs North American T-28D qui seraient pilotés par deux de ses meilleurs aviateurs : « Bud » Moessmer et « Big Bill » Wyrozemsky, expérimentés dans le mitraillage au sol. Depuis la mésaventure survenue à Ed DEARBORN et à Don CONEY à Kamembe, il était strictement interdit d’engager des pilotes Américains du Wigmo dans des missions de combat, mais sur ordre de la CIA, les majors Moessmer et Wyrozemsky rejoignirent Baka le 22 novembre pour être mis au courant d’une mission secrète. Ils furent ensuite transportés en bimoteur C-46 du WIGMO à l’aérodrome de Punia (Maniéma) qui était placé sous la garde des UDEF Katangais du cpn Servais et de quelques commandos sud africains laissés par la 5e brigade. Ces deux pilotes devaient s’y tenir prêt à prendre les commandes de monomoteurs Trojan T-28D qui y étaient basés. Ces appareils étaient équipés de deux mitrailleuses .50 et de pods de lances-roquettes Aero 6A1. Dès que les C-130E de l’opération aéroportée approcheraient de l’objectif, situé à 400 km de là, ils devaient empêcher l’arrivée de renforts ennemis avec leur appareil, pendant que les B-26K protégeaient le parachutage des troupes belges.

Un des bimoteurs B-26K fut bloqué au sol à Kindu suite à des problèmes techniques et le « crew chief of maintenance » du WIGMO Willy Callesen effectua les réparations nécessaires. L'opération Dragon Rouge sur Stanleyville démarra le 23 novembre vers 23H00, lorsque le message flash « Big Punch » envoyé par l’USSTRICOM fut réceptionné à Baka. Pendant ce temps, le col BEM Vandewalle préparait l’offensive de la 5e Brigade Mécanisée à partir de Lubutu, localité située à 200 km de l’objectif. Il avait décidé de prendre Stanleyville même si le parachutage était annulé. Il aurait voulu disposer de Lockheed C-130 pour transporter le régiment commando katangais « Baka » en garnison dans la ville conquise, mais tous les appareils américains étaient mobilisés pour l’opération Dragon Rouge et il ne disposait que des DC-4 de la BIAS ou d’Air Congo pour assurer son ravitaillement. Le 23 novembre à 15H30, le chef de l’Ommegang donna l’ordre au ltcol Liégeois de foncer vers Stanleyville avec le peloton blindé Béro en avant-garde. Dès que la colonne « Lima I » atteindrait l’objectif, un peloton du 5e Bn commando occuperait l’aérodrome et un autre peloton de commandos sud africains rejoindrait le pont de la Tshopo pour bloquer la route de Banalia.

La mission de la colonne « Lima II » du ltcol Lamouline était d’occuper le camp militaire sergent Ketele et de bloquer la sortie est de la ville. Après avoir subi trois embuscades, le col BEM Vandewalle arrêta la progression de l’Ommegang le 24 novembre vers 03H30 du matin pour se reposer jusqu’à l’aube. Entre temps, le colonel Isaacson avait décollé de Kamina à 23H45 avec un des trois Lockheed C-130E de la Joint Task Force Léo pour effectuer une reconnaissance du temps aux abords de l’objectif. Satisfait des conditions météo, il les communiqua à Baka et fit demi-tour en longeant le fleuve Congo. Dans la nuit du mardi 24 novembre à 01h00, les cinq premiers C-130E décolèrent de Baka et le col Gradwell informa le Colonel Laurent que tous les appareils de la première vague d’assaut avaient pris leur envol. Le décollage de ces appareils s’était effectué à dix minute d’intervalle et il fut suivi trente minutes plus tard par celui des sept Lockheed C-130E de la seconde vague chargés des renforts, du charroi, de l’hôpital volant et du matériel. La vitesse de croisière des deux formations était de 290 noeuds (environ 537 km/h). En se basant sur le rapport de météo donné par le col Isaacson, le col Gradwell savait que la formation devait contourner des orages en volant 75 km à l’ouest du trajet initialement prévu. Pour compenser ce détour, la formation s’était envolée plus tôt de Baka. La route suivie par les Lockheed C-130E les conduisait au nord de Stanleyville jusquà Basoko où ils avaient rendez-vous avec leur escorte de Douglas B-26K, partie à 04H30 de Kindu. Arrivés au-dessus de Basoko, les appareils du col Gradwell firent demi-tour et prirent la direction du sud-est vers l’aérodrome de Stanleyville en volant à l’altitude de saut.

La mission des deux bombardiers bimoteurs Douglas B-26K, dont l’un était occupé par le ltcol Avi Bouzin, était de survoler les deux côtés de la piste à basse altitude juste avant le saut pour repérer les positions des Simba et détruire les éventuelles positions de défense contre avions. Ils devaient effectuer un deuxième passage en cas de forte opposition. Le col Isaacson dirigea les deux bimoteurs B-26K vers leur objectif cinq minutes avant le saut, mais les pilotes cubains passèrent trop vite et trop haut. La première formation de C-130E volait à 700 pieds d’altitude lorsque les dispatchers ouvrirent les portes et les parachutistes se tinrent prêts à sauter. La piste de l’aéroport de Stanleyville apparut aux pilotes des Lockheed soixante secondes après que les Douglas B-26K aient longé la piste et ils ralentirent brusquement leur vitesse à 180 km/h. A 06H00 du matin, la lampe rouge passa au vert et les dispatchers crièrent « Go ». Les habitants de Stanleyville furent surpris par un bruit d’avion inhabituel. Depuis la chute de la ville aux mains des rebelles, plus aucun avion n’avait survolé la ville, mis à part un quadrimoteur de la Croix Rouge suisse qui avait apporté des médicaments. Les Lockheed C-130E Hercules numérotés « Chalk 1 » à « Chalk 5 » se suivaient à un faible intervalle en survolant l’aérodrome dans un rugissement de moteurs pendant que les armes des Simbas crachaient le feu vers le ciel. Quatre des cinq C-130E furent touchés par des tirs d’armes légères qui causèrent peu de dommages.

Suite | Sortir