L'arméee privée de Kasongo Nyembo

Suite | Sortir


La puissance de Kasongo Nyembo

La sorcellerie était également présente dans l’armée du mulopwe Emmanuel Ndaye dont les soldats recevaient le « Bwanga » assurant l’invincibilité comme les rebelles de la Balubakat. Le « Bwanga » des sorciers de Kinkuki et des villages environnants était aussi forts que celui de l’ennemi Balubakat et contrairement au grand chef Kabongo, Kasongo Nyembo disposait d’un nombre important de guerriers fidèles. Avant leur départ en opération avec le commandant Lamouline, des féticheurs leur remettaient un « Dawa » d’une validité de deux semaines et lorsqu’ils quittaient Kinkuki, les fsorciers les aspergeaient d’une sorte de poudre magique, mais ils étaient tenus à respecter certains interdits, comme rester chaste et ne pas boire de lutuku, sorte d'alcool indigène à base de maïs, ni de bière Simba. En septembre, le commandant Lamouline poursuivit ses patrouilles avec quelques dizaines de guerriers supplétifs, chargés sur des camions réquisitionnés et sur un autobus du « Service Transport Automobile » de l’administration. Il était accompagnés de féticheurs qui soutenaient le moral des soldats et prélevaient des organes vitaux sur les cadavres ou sur les prisonniers pour la confection de « Bwanga ». Il était impossible au commandant Lamouline d’interdire ces pratiques qui faisaient partie de la coutume.  A la mi-septembre, il reçut en renfort le sergent Coecke, rescapé du Groupe Mobile du capitaine Jacquemart et la petite armée de Kasongo Nyembo poursuivit les opérations dans le nord contre les rebelles. Elle avait aussi pour mission de s’opposer aux razzias des bandes de la Balubakat avec lesquelles les guerriers fidèles eurent de nombreux accrochages, notamment dans la région de Kabongo où les Bajeunesses montaient fréquemment des embuscades. Lors d’une de ces embuscades, les guerriers sortirent vainqueurs de la bataille, mais ils avaient subi des pertes et se vengèrent sur les prisonniers rebelles dont organes vitaux furent prélevés pour la confection de « Bwanga » ou pour être mangé (le cœur, le foie et le cerveau sont sensés donner un certain pouvoir). Suite à une décision du Conseil de Sécurité des NU, l’armée belge reçut l’ordre d’abandonner la base militaire de Kamina aux casques bleus de  l’ONU et le commandant Van Damme, responsable du secteur du Haut Lomami, reçut l’ordre de l’EM katangais d’Elisabethville de communiquer aux lieutenants Auguste Servais et André Protin en service à la Force Aérienne Belge à Baka qu’ils devaient rejoindre immédiatement la capitale et se mettre à la disposition du QG/FK. A l’exemple d’autres membres des Forces Métropolitaines, ces deux officiers, furent engagés dans la Gendarmerie à un grade supérieur et reçurent une affectation dans une garnison katangaise. La base militaire de Kamina se vidait de sa garnison et de nombreux convois ferroviaires chargés de véhicules, de matériel, d’armement et d’équipement prenaient le chemin du Ruanda-Urundi, via Albertville. Grâce à certaines complicités, Robert Lamouline et ses adjoints en subtilisèrent une grande partie. Chaque convoi du BCK était visité par leurs hommes de lors de son passage à la gare de Kaminaville et une soixantaine de jeeps Minerva C20, des camions Bedford 4x4 de 3 tonnes, dix scout car White M3A1 des UDA et divers véhicules, dont une ambulance furent déchargés des wagons. Une partie de ce charroi prit la route d’Elisabthville et en échange de cinq scout car White M3A1, le cdt Lamouline obtint trois blindés M-8 Greyhound pour former un peloton blindé avec trois scout car White. Grâce au recrutement, le commandant Lamouline put créer un bataillon dont les effectifs atteignirent près de 500 hommes. Il inculqua aux recrues l’instruction militaire avec l’aide d’anciens soldats baluba de la Force publique et il obtint des crédits à E’ville pour la paiement de la solde. A défaut de cantonnements, ces hommes logeaient dans leur village et se réunissaient chaque matin à 07h00 pour le lever des couleurs katangaises. Ils disposaient d’un équipement sommaire et le cdt Lamouline passa une commande de quelques centaines de calots de type US en toile beige avec soufflet vert chez le commerçant Nazar pour distinguer ses recrues des guerriers. Son unité devint le 32e bataillon de Gendarmerie, baptisé « Bataillon Kasongo Nyembo », et reçut deux scout car White M3A1, des camions et des jeeps. Le 32e bataillon de gendarmerie, cantonné à Kinkuki était indépendant de la Gendarmerie Katangaise et formait une sorte d’armée privée. Une trentaine d’hommes choisis parmi les meilleurs formaient la garde personnelle du mulopwe Emmanuel Ndaye. Elle se distinguait par un uniforme beige avec sur la manche gauche un brassard vert avec l’inscription « KN », un ceinturon, des guêtres blancs et un casque US de couleur blanche avec bande verte portant les lettres  « KN ». Le 32e bataillon disposait également d’une Police Régimentaire avec un casque blanc bordé de rouge et portant les lettres  « PR ». L’entrepreneur Chèvremont de Kamina, qui avait construit le palais du mulopwe, fut chargé de construire à Kinkuki un véritable camp militaire avec bureaux, réfectoires, cuisines, magasins, dépôts, garages, corps de garde et cachots pour le 32e bataillon, mais la troupe composée de six compagnies continua de dormir dans les villages des alentours, car il aurait été impossible de séparer les hommes mariés de leur famille. Les véhicules « empruntés » aux Forces Métropolitaines furent ornés d’un grand drapeau katangais et portaient également les lettres « KN » à l’avant et à l’arrière et l’inscription « Bataillon Kasongo Nyembo » sur les côtés. Outre ce bataillon, le secteur militaire commandé par le major Barvaux se composait d’une compagnie de Police Militaire, d’un peloton blindé et du 22e bataillon de Gendarmerie à cinq compagnies cantonné dans le camp militaire de Kamina. Ce bataillon était formé à partir de la compagnie de gendarmes ex-FP avec des gradés et des soldats baluba de l’ancienne compagnie de gendarmerie et des recrues baluba fournies par le grand chef Kasongo Nyembo. Les soldats de la garnison reçurent un uniforme complet avec bottines, pantalons kaki, smoke, chapeau de brousse et ils furent armés de fusil SAFN et Mauser ex-FP, de FM et de PM Vigneron. Le 4 septembre 1960, Robert Lamouline envoya à Kabongo deux pelotons de gendarmes KN qui avaient reçu un entraînement militaire rapide donné par des sous-officiers belges et katangais. Ils avaient pour mission de détruire les voies d’accès au nord du territoire afin d’empêcher l’ANC d’envahir le Katanga par Kitenge, car certaines voies de communications étaient restées ouvertes à la frontière du Kasaï. C’était une mission délicate, car la présence de troupes du mulopwe Kasongo Nyembo sur le territoire du grand chef Kabongo risquait de provoquer des frictions. Il était à craindre qu’il se plaigne au président à E’ville de cette ingérence sur son territoire. Après une halte à Kabongo pour se ravitailler, le convoi de deux jeeps et de deux camions transportant les soldats KN se mit en marche à 23 heures vers Kitenge, à 63 km de là. Elle était guidée par les anciens agents territoriaux Luca et Brixhe, passés au service du Katanga comme conseillers techniques. Un petit barrage arrêta le convoi à un kilomètre de Kabongo, mais 5 km plus loin, un arbre abattu sur la route arrêta le premier véhicule qui s’était détaché de la colonne. Le chauffeur attendit les autres véhicules pendant vingt minutes, puis fit demi-tour. Il trouva le convoi à l’arrêt, car un des camions était tombé en panne. La colonne fit demi-tour vers Kabongo avec le véhicule pris en remorque. Il fut réparé et le détachement de gendarmes regagna Kamina le lendemain sans avoir atteint son objectif. Le départ des gendarmes fut ressenti comme une victoire par la population et l’excitation augmenta. Le chef Dibwe Kaloa Boniface de Kabongo raconta qu’il s’était rendu personnellement à Kitenge et que le barrage, qui était gardé par des gens de Kala et Kakinda, avait été déplacé pour le laisser passer, mais les rebelles s’étaient empressés de le remettre en place après le passage de son véhicule malgré ses protestations.

Le drapeau katangais flotte sur Kabongo

A Kabongo, la station TSF signala par message l’échec de l’opération et l’administrateur annonça que suite à l’aggravation de la situation, le personnel katangais étranger à la localité demandait de quitter les lieux, car ils avaient reçu des menaces de mort. A la demande des autorités territoriales, le QG de la Gendarmerie Katangaise à Elisabethville envoya des bimoteurs Dove de l’Avikat. Ils effectuèrent une halte de ravitaillement à Kamina avant de survoler le nord du territoire près de la frontière du Kasaï. Les observateurs aériens signalèrent la présence de bandes armées en mouvement dans tout le territoire de Kabongo. Grâce au cdt Lamouline et à ses hommes, la rébellion Balubakat ne parvint pas à atteindre ses objectifs et le territoire contrôlé par le grand chef Kasongo Nyembo dans le Haut Lomami s’agrandit jusqu’à Kabondo Dianda. L’ancien empire aurait pu être reconstitué s’il avait disposé de plus de moyens, L’administration demanda l’envoi d’une petite garnison permanente à Kabongo et le major Van Damme se mit d’accord avec le commandant Lamouline pour que le 22e bataillon de la Gendarmerie Katangaise et le 32e bataillon « Kasongo Nyembo » fournissent à tour de rôle une compagnie pour tenir les garnisons de Kabongo au nord et de Kabondo Dianda au sud. Le 8 septembre, le major Van Damme envoya le peloton de l’adjudant Antoine à Kabongo avec l’accord du grand chef. Ce peloton n’était pas bien formé au combat et il reçut un entraînement au tir et au maniement d’armes pour impressionner la population. Cette petite garnison fut renforcée quelques jours après par un second peloton de recrues du 22e bataillon de la Gendarmerie Katangaise commandé par le lieutenant Meganck. L’administration de Kabongo fit imprimer un appel au calme en plusieurs centaines d’exemplaires qui furent distribués à la population le 5 septembre. Il demandait de ne pas user de violences et rappelait que depuis le 1er juillet, aucun Noirs n’avait été attaqué, battu ou tué par les forces de l’ordre. Quatre jours plus tard, le port d’armes fut interdit à Kabongo, ainsi que les rassemblements de plus de cinq personnes et l’administrateur rappela aux habitants l’obligation de se munir de leur carte d’identité. Durant la semaine du 4 au 10 septembre, le QG/ONUC procéda au remplacement des casques bleus éthiopiens par des soldats originaires du Mali. Le 4 avril 1959, le Sénégal et le Soudan français s’étaient regroupés pour former la Fédération du Mali, qui avait accédé à l'indépendance le 20 juin 1960, mais deux mois plus tard, le Sénégal s’était retiré de la fédération et avait proclamé son indépendance. Le commandant de compagnie malien se montra peu coopératif et ne cacha pas sa sympathie pour la Balubakat et le gouvernement central congolais. L’administrateur du territoire Dominique Ilunga et son conseiller technique Paul De Strooper demandèrent  à être reçu dans son bureau pour lui demander protéger certains bâtiments, dont la Poste et la TSF et de surveiller les installations indispensables comme le dépôt d’essence, mais le commandant des casques bleus maliens ne fit aucun geste positif et ignora également la deuxième demande. Une semaine plus tard, le chef du détachement de l’ONU sembla changer d’avis et plaça une sentinelle de garde devant les bâtiments administratifs, mais il ne fit aucune tentative permettre la relance de l’économie, pour disperser les bandes armées qui se rassemblaient dans le centre de la localité ou pour sauver les Européens isolés. Pour la première fois, le nouveau drapeau du Katanga fut hissé au mât installé devant les bâtiments de l’administration de Kabongo. Cette cérémonie se déroula en présence des militaires de la garnison et des autorités civiles. La majorité de la population ne se sentit pas concernée et évita de se montrer, sans doute sur ordre de la délégation BBK. L’emprise de la Balubakat sur le territoire de Kabongo s’accentuait et la population avait reçu comme consigne d’abandonner leur village et de se mettre à l’abri dans les galeries forestières. Des bandes de Bajeunesses étaient signalées dans le nord et l’est du territoire de Kabongo. Les «Bajeunesses » étaient vêtues sommairement, mais étaient coiffées d'un bonnet en peau de civette, sorte de couvre-chef orné de plumes lorsque son propriétaire avait tué un ennemi. Ce bonnet était très prisé comme trophée par les mercenaires et les gendarmes katangais. Le 13 septembre, des incidents éclatèrent à 35 km de la localité, au CAPSA de Niembo. L’agronome Strauven et l’agent agricole Van Cromphaut de l’état katangais, chargés d’effectuer la remise-reprise avec le nouveau responsable du centre provincial d’agronomie Augustin Nkulu, s’y étaient rendu avec une camionnette des TPM et ils remarquèrent la présence anormale d’individus qui se sauvaient en brousse à leur passage. Devant le bureau de la CAPSA, une vingtaine de Baluba entouraient la voiture d’Augustin Nkulu et ils gardaient leur bras derrière le dos comme s’ils cachaient quelque chose, d’autres portaient ouvertement une sorte de massue munie de chaînes de vélo. Quand ils entrèrent dans le bureau, ils  furent frappés par l’attitude étrange d’Augustin Nkulu qui avait le visage défait et restait obstinément muet. A ce moment, ils observèrent plusieurs jeunes qui s’avançaient vers le bureau avec une attitude menaçante. Ils rejoignirent leur véhicule en invitant Augustin Nkulu à les suivre, mais le nouveau responsable resta prostré sur sa chaise. Le chauffeur du TPM démarra immédiatement, poursuivit par des jeunes armés de quelques fusils, d’arcs et de flèches de massues avec chaîne de vélo et de bâtons. Les fuyards furent bloqués un moment par un arbre qui barrait la route de Kabongo, mais le chauffeur réussit à contourner l’obstacle, poursuivit par les assaillants qui décochaient des flèches empoisonnées et lançaient des pierres. Ils regagnèrent les bâtiments de l’administration de Kabongo vers 15h30 et alertèrent les autorités, leur montrant les flèches empoisonnées fichées dans le treillis de la camionnette. L’administrateur Ilunga fit immédiatement appeler l’adjudant Antoine et il réquisitionna la troupe pour rétablir l’ordre à Niembo. Le convoi de militaires se mit en route mais il fut bloqué par un barrage gardé par des Bajeunesses à quatre kilomètres de son objectif. Les sommations d’usage furent faites par l’adjudant Antoine avant que les forces de l’ordre ouvrent le feu. Les Bajeunesses s’égaillèrent dans la savane, mais comme  la nuit tombait, l’adjudant Antoine décida de regagner Kabongo et de revenir le lendemain. L’expédition fut à nouveau remise le jour suivant sous prétexte de l’arrivée de renforts envoyés de Kamina et c’est seulement le 15 septembre que Niembo fut occupé par les militaires katangais, accompagnés du chef Dibwe Kaloa Boniface, du conseiller Luca et de l’agent agricole Willy Van Cromphaut. Les habitants du village s’étaient mis à l’abri dans la brousse et la station de la CAPSA était abandonnée, mais le tracteur avec remorque et la voiture d’Augustin Nkulu avaient disparu avec son propriétaire qui avait sans doute subi un mauvais sort. Dibwe Kaloa Boniface s’opposa à toutes mesures punitives et le convoi retourna à Kabongo sans avoir pu faire de prisonniers.

Suite | Sortir