Ministre Kimba

Conférence de presse - E'ville 28.3.1962

Document d'époque copie carbone sur papier pelure, non signée, trouvé dans les papiers de Jean Schraûwen (source inconnue)
Le texte est recopié avec l'orthographe et le style d'origine

 

Conférence de presse du Ministre KIMBA à Éville le 28 mars 1962

Mr ADOULA, violant la consigne qu'il avait lui-même sollicitée, vient d'annoncer que ses pourparlers avec M. TSHOMBE étaient suspendus par la faute de ce dernier, le président du Katanga s'étant refusé à déclarer qu'il était habilité à conclure un accord sans avoir à le soumettre à la ratification de l'Assemblée katangaise.

Ce communiqué ne nous étonne pas, il est bien dans la ligne de ce que nous pensons être la politique de M. ADOULA : le premier Ministre congolais affaiblit ses adversaires politiques, les emprisonne et les élimine.

Le premier à être victime de ce système fut le Mulopwe KALONDJI. À Coquilhatville, il écouta la voix de M. ADOULA qui lui faisait miroiter les avantages d'une réconciliation. Aujourd'hui, il est en résidence surveillée, mais – et le fait est extrêmement important à observer pour ceux qui croit [sic] que M. ADOULA tente de reconstituer l'unité du Congo – le Sud-Kasaï est toujours autonome, ne relève pas du gouvernement central de Léopoldville et M. ADOULA n'a pas entrepris la moindre démarche, la moindre pression, le moindre geste pour mettre fin à cette situation.

M. GIZENGA, plus méfiant, et toujours  partagé entre le désir d'une réconciliation et la crainte d'être victime d'une accolade qui ne serait pas sincère, sous les pressions internationales, se résigne à se rendre à Léopoldville afin de reprendre ses fonctions; il avait même demandé, le pauvre, qu'on lui prépare son bureau: on lui a aménagé une cellule et comme M. ADOULA, qui sait qu'il ne représente personne, personne du Congo bien entendu, redoute les populations de Léopoldville. Il a relégué son ennemi sur une petite île marécageuse, infestée de moustiques et au climat débilitant. Il espère que la nature du lieu, et les mauvais traitements aidant, saperont les facultés physiques et morales du prisonnier de façon à avoir toujours vivant un GIZENGA qui ne serait plus GIZENGA.

M. GBENYE était ministre de l'Intérieur; on l'a ensuite élevé au niveau de vice-premier Ministre par la grâce des réconciliations de M. ADOULA : Où est-il à présent?

M. ADOULA avait aussi voulu se réconcilier avec M. TSHOMBE, mais celui-ci entend se réconcilier vraiment, pour lui, le mot de réconciliation n'a pas le même sens que pour M. ADOULA; il entend examiner à fond les accords qu'on lui demande de signer, surtout, il tient à savoir si son peuple est disposé à accepter les accords signés, or, pour cela, il n'y a qu'une seule méthode, c'est de consulter les élus du peuple, c'est de demander la ratification de l'assemblée générale.

M. TSHOMBE sait qu'il est inutile de signer des accords pour se retrouver en prison, tandis que le Katanga resterait autonome sans le moindre contact avec le gouvernement central, comme c'est le cas au Sud-Kasaï; notre président désire que la réunification du Congo se vérifie dans les faits et non sur le papier.

Pour M. ADOULA, c'est le papier qui importe. À Kitona, il apprit que, grâce aux manœuvres de ses amis qui devaient plonger dans l'oubli la lettre de réserve du président katangais, il avait "son papier"; il avait sous-estimé la force de la vérité qui finit toujours par surnager, et la vigueur du Katanga.

Lorsque l'assemblée katangaise eut ratifié, sous certaines réserves, les accords de Kitona et qu'elle eut donné à notre président de poursuivre les pourparlers dans le cadre qu'elle avait tracé, il faut de nouveau question d'une rencontre ADOULA  TSHOMBE.

Le premier insistait pour que la rencontre eut lieu à Léopoldville, or, à ce moment, il existait à Léopoldville un plan visant à éliminer le président TSHOMBE; nous ne disons pas que M. ADOULA y participa, mais nous pouvons difficilement croire qu'il l'ignorait.

C'est pour cette raison que nous avons tant insisté afin que la réunion ait lieu ailleurs qu'à Léo et que, par la suite, nous avons exigé des garanties absolues de sécurité.

Le président annonça donc sa résolution de se rendre à Léo, selon ses méthodes qui se sont révélées efficaces, et étudia la situation avec ses ministres, établit des rapports, élabora des dossiers qui lui permettraient de connaître parfaitement la situation afin de savoir jusqu'où il pouvait faire des concessions au gouvernement central, sans mettre en péril la situation du Katanga; comme cela se pratique dans tous les pays du monde, le président TSHOMBE préparait la conférence.

Les gens de Léo, habitués à la bonne palabre qui n'est étayée sur aucun fait, sur aucun chiffre et n'aboutit à aucun résultat, crurent voir des atermoiements et des hésitations. Lorsque l'ONU annonça à M. ADOULA que M. TSHOMBE arrivait, il fut pris au dépourvu et se précipita à Coquilhatville afin d'élaborer un stratagème qui lui permettrait de ne pas entreprendre, sur le fonds du problème, des pourparlers pour lesquels il n'était pas préparé et qui, surtout, ne cadraient pas avec sa conception de réconciliation.

Pendant les quelques jours qui ont précédé les pourparlers, il a été mis au point une tactique qui devait les faire échouer : on allait  exiger du président TSHOMBE qu'il déclare que ces accords étaient définitifs et ne devaient pas être sanctionnés par l'assemblée nationale. Or, il n'est personne qui ne s'intéresse un tant soit peu au problème qui ne connaisse la motion de l'assemblée katangaise du 15 février 1962 qui dit en son point (g) :

"L'assemblée katangaise se réserve le droit de ratifier les accords définitifs qui seraient conclus entre les autorités et Léo et celles du Katanga conformément au mandat donné au gouvernement katangais."

M. ADOULA sait donc parfaitement que le président TSHOMBE ne peut, en vertu de la constitution katangaise et en vertu de la motion, donné [sic] un accord définitif à Léo; mais M. ADOULA feint de considérer M. TSHOMBE comme un président provincial parce qu'il entend ne discuter que dans le cadre de la Loi Fondamentale, et bien que nous renvoyons M. ADOULA à l'art. 176 – alinéas 1 et 2 – de cette loi :

"Le gouvernement provincial dirige les affaires de la province conformément aux dispositions légales et réglementaires. Il délibère en collège; chaque membre du gouvernement provincial assume, seul et sous sa propre responsabilité, sauf décision contraire du gouvernement provincial, l'exécution des décisions prises par le collège et qui relèvent de ces attributions."

Me texte est clair : "…Chaque membre du gouvernement agit seul, sauf décision contraire du gouvernement…", or cette décision contraire existe, c'est la motion du 15 février 1962.

M. ADOULA ne peut prétexter que cette décision est irrégulière puisqu'elle a été prise par une assemblée qui délibérait sous le contrôle d'un juriste des Nations-Unies qui n'a été mis à la disposition que de l'accord de M. ADOULA lui-même.

Je me permets de vous rappeler ici quelques extraits du texte de la lettre des Nations-Unies reçue à l'époque. M. ADOULA y disait notamment :

"…Ne s'agissant plus que d'une demande d'assistance normale dans le cadre des opérations civiles des N.U. au Congo, je ne vois pas d'objection de principe à ce que l'organisation mette un juriste à la disposition du gouvernement provincial du Katanga."

Nul ne pourra prétendre donc que l'attitude du président TSHOMBE n'est pas légale.

Nous avons estimé nécessaire de faire cette mise au point parce que M. ADOULA n'a pas respecté le jeu normal des négociations; il aurait dû garder le silence, il ne l'a pas fait; il aurait dû négocier en toute franchise et ne pas exiger du président TSHOMBE des prises de position illégales, il y a eu recours pour bloquer les pourparlers; s'il s'était borné à faire sans rien dire, nous aurions sans doute gardé le silence, mais dès qu'il tente de jeter la responsabilité de la suspension des pourparlers sur le Président TSHOMBE, il est de notre devoir de rétablir la vérité.

Hier, U THANT à déclaré :

"…J'ai donné ordre à mon représentant à Léopoldville, M. GARDINER, d'empêcher par tous les moyens, la rupture des négociations. Mais si cette éventualité se produisait, les N.U. avaient déjà pris des mesures…"

Ainsi donc, M. ADOULA se voit aidé de l'extérieur pour ne pas poursuivre les pourparlers; il sait que, s'ils échouent, l'ONU a déjà son dispositif prêt qui ne peut être dirigé que contre le Katanga.

Il pourra donc ainsi vaincre, grâce à l'aide extérieure et sans ingérence de sa part, le Président TSHOMBE et le Katanga, avec qui il prétend se réconcilier.

Il est regrettable que les ingérences étrangères en arrivent à provoquer de telles réactions et cela, alors que le Président TSHOMBE est parti à Léopoldville avec toutes les assurances de pouvoir négocier librement.