L'Empire du Silence




Mémorial RDCongo

LE FILM QUI RÉVÈLE LA FACE CACHÉE DU DRAME CONGOLAIS

LE SOIR - 26.10.21 - Philippe de Boeck

Le nouvel opus de Thierry Michel retrace

un quart de siècle de crimes et de violences impunis.

La plupart des responsables sont toujours en vie

et n’ont jamais été poursuivis.

Ils s’appellent Laurent Nkunda, James Kabarebe, Joseph et Laurent-Désiré Kabila, Gabriel Amisi, Jean-Pierre Bemba, Gédéon Kyungu, Eric Ruhorimbire, John Numbi, Paul Kagame ou encore Yoweri Museveni, pour n’en citer que quelques-uns. Tous ont commis, couvert ou commandité des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, voire des crimes de génocide au Congo. La plupart sont encore en vie, mais aucun n’a jamais été poursuivi ou traduit devant un tribunal…

Leurs noms sont cités dans le nouveau film de Thierry Michel ( L’Empire du silence), preuves à l’appui.

Tous leurs méfaits ont été méticuleusement inventoriés dans une enquête des Nations unies, le fameux Rapport Mapping. Si son contenu a finalement été rendu public malgré les fortes pressions du Rwanda, la liste des noms des responsables de ces actes horribles ne l’a jamais été. Elle « dort » dans un coffre quelque part au siège des Nations unies, à Genève. « C’est une véritable bombe », précise Thierry Michel.

Son combat, c’est surtout celui du D r Denis Mukwege, le Prix Nobel de la paix 2018. « Quand il a franchi la ligne rouge en citant des noms, on a voulu l’éliminer et il a perdu deux personnes de son entourage proche tuées dans sa maison, dont son régisseur », raconte le réalisateur. « Comment se fait-il que rien n’ait changé depuis près de trente ans ? Pour le savoir, je suis retourné sur le terrain pour retrouver des témoins, des traces. Le tournage a duré trois ans. C’est mon douzième et dernier sur le Congo, un film bilan pour briser la loi du silence. Sur les fosses communes, pourquoi n’y a-t-il pas d’exhumations ? Avec les Yézidis, on le fait déjà alors que c’est tout récent. Pourquoi pas au Congo ? Ce film est important pour documenter d’éventuelles suites judiciaires. »

Comme le dit Thierry Michel, « ce film est un petit tsunami et il faut un peu s’accrocher » en le visionnant. Certaines images sont en effet insoutenables, notamment celles prises dans le Kasaï par un militaire des FARDC qui filme la liquidation de civils (femmes et adolescents) non armés avec son smartphone. Ou celles de l’exécution de deux experts de l’ONU, un Américain et une Suédoise, en mars 2017. Ou celles encore de milliers de réfugiés hutus rwandais en train de mourir à petit feu, poursuivis par les troupes de l’APR à Tingi-Tingi, au sud de Kisangani, en 1997.

Mises bout à bout, toutes ces séquences qui ont déstabilisé le Congo depuis le génocide rwandais d’avril 1994 donnent froid dans le dos : « Comment est-ce possible ? » Les Nations unies ont bien essayé de ramener la paix et la sécurité dans le pays avec la Monuc (devenue Monusco), mais, malgré les moyens importants (un budget annuel de 1,5 milliard de dollars), les massacres continuent. Certains ont même eu lieu à quelques centaines de mètres d’un camp de Casques bleus censés protéger les populations. « Ils ne font qu’observer et nous, on meurt », explique une dame amputée d’une main coupée à la machette.

Un des drames du Congo, c’est qu’il n’y a bien souvent pas d’images des exactions commises dans ce pays gigantesque, convoité avant tout pour les richesses de son sous-sol (coltan, diamant, cobalt, or, cuivre, uranium, etc.). Et pas d’images signifie souvent pas d’infos. Dans L’Empire du silence, il y a les deux : des tonnes d’images plus terribles les unes que les autres et des tonnes d’informations qui ne demandent qu’à être exploitées.

Comme le résume une des personnes interviewées par Thierry Michel : « Que vaut la vie d’un Congolais ? » Après avoir vu le film, on en arrive à la conclusion qu’elle ne vaut manifestement pas grand-chose.

Si le nombre de morts tombés dans l’oubli et le nombre de femmes violées depuis 1994 est impossible à évaluer avec précision, le bilan humain est indescriptible.

Le film (110 minutes) est présenté en avant-première mondiale au Festival des Libertés

ce mardi soir. Il sortira en salle en janvier.

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