Les Léopards dans le Nord-Maniema

© Jean-Pierre SONCK

Quatre mois après la prise de Stanleyville, les maquisards de l’Armée Populaire de Libération tenaient encore un vaste territoire qui s’étendait entre Ponthierville et Kindu. Dans un rapport adressé par le col BEM VANDEWALLE au QG/ANC en mars 1965, il signalait que faute de réserve opérationnelles, aucun effort ne pouvait être entreprit par l’ANC dans la région d’insécurité du Nord Maniéma comprise entre Lubutu, Punia et Walikale. Le major SCHRAMME, qui ne s’entendait guère avec le major de HUCCORNE, alias « Long short » ou « Corned-Beef », reçut l’ordre de réoccuper Kabambare qu'il avait abandonné en prétextant un manque de carburant et de munitions. Pour retarder son départ en opération, il prétendit que l’APL s’était considérablement renforcée dans le secteur situé entre Kabambare et Fizi et il fut autorisé à renforcer ses effectifs. Son bataillon comptait 320 hommes regroupés en deux compagnies de quatre pelotons (chaque peloton comptait une quarantaine d’hommes et était désigné par une lettre A, B, C ou D. Le peloton A2 était le 1er peloton et le B2 était le 2e peloton de la 2e compagnie). Afin de former une compagnie supplémentaire, il recruta un premier groupe de quatre-vingt Bahemba dans la région pour former deux pelotons et le lt Norman DENUL s’occupa de leur instruction. Il s'occupa également  de l'instruction du second groupe recruté peu après. Pendant ce temps, la localité de Kasongo sur le Lualaba était reprise aux Simba le 18 mai par le 3e Bn commando ANC renforcé de mercenaires. Ils récupérèrent dix blindicides, quatre mitrailleuses lourdes, douze FM et de cinquante fusils semi-automatiques SAFN de la fabrique nationale que les rebelles avaient capturé à l’ANC. Un rapport du QG/ANC rédigé à la fin du mois de mai 1965 donnait l’inventaire des forces de l’APL dans le Sud Maniéma. Elles comprenaient six bataillons, comptant chacun entre 200 et 500 Simba, qui opéraient de manière indépendante et étaient encadrés par des gradés issus de l’ANC originaires de Stanleyville ou de Kindu.


Malgré ses maigres moyens, le major de HUCCORNE partit en campagne avec le bataillon de Kongolo encadré de quelques mercenaires et il s’empara de Mazomeno où son bataillon s’installa en défensive pendant une semaine. Ses hommes récupérèrent de nombreuses armes, dont des lances-roquettes chinois et des fusils tchèques. En juin 1965, Jean SCHRAMME fut convoqué au PC du major de HUCCORNE par le ltcol LAMOULINE, venu en avion de Stanleyvville. Le commandant du 6e Bn commando européen lui transmit un message du QG de la 5e Brigade qui lui intimait l’ordre formel et militaire de rejoindre Kindu le 3 juillet avec son bataillon, faute de quoi, il serait licencié et le 10e Bn commando serait dissout. Sa mission était de pacifier le Nord Maniéma, secteur dépendant du 5e Groupement ANC. Les sociétés minières, dont la Symétain, avaient développé tout un complexe minier dans cette région et espéraient reprendre leur exploitation le plus tôt possible. Transporté par train à Kindu, le 4 juillet, les 480 Katangais du 10e Bn commando passèrent la nuit dans les bâtiments de la mission catholique des révérends Pères du Saint Esprit, tandis que le major SCHRAMME et les mercenaires de son unité logeaient à l’hôtel Léopold II qui servait de logement à leurs camarades du 7e Bn commando katangais. Leur chef, le lieutenant D’HULSTER, avait succédé au cpn MICHALSKY comme conseiller du lt  TAMBWE et il lui souhaita bonne chance dans sa mission. Dans la matinée du 5 juillet, le 10e Bn commando fut passé en revue par le colonel TSHINYAMA qui commandait la place de Kindu. Après le défilé dans la rue principale, il convoqua Jean SCHRAMME à son PC, mais ne put lui fournir aucun renseignement sur la région qu’il était chargé de pacifier. Il l’avertit cependant que c’était une région dangereuse, peuplée de Bakumu convertis au Kitawala. Lors de son apparition en Afrique, cette religion les avait immédiatement séduit par ses préceptes qu’ils adaptèrent à leurs coutumes et à leur mentalité, car ils étaient anarchistes dans l’âme. Ils avaient rallié le Comité National de Libération avec le même enthousiasme et le mulélisme s’était rapidement propagé parmi les Bakumu et parmi les tribus apparentées qui forment une des peuplades les plus puissantes de l’est du Congo, mais aussi la plus divisée, car elles n’avaient pas dépassé le stade du clan. Après la parade, les commandos de SCHRAMME préparèrent leur départ et traversèrent le fleuve Lualaba en bac. Chaque passage de véhicule prit une vingtaine de minutes. La colonne de véhicule fut rassemblée sur la rive droite et laissée à la garde de quelques hommes pour être prête à partir le lendemain à l’aube. Le 6 juillet, le 10e Bn commando se mit en route vers un avant-poste gardé par quelques Katangais du  7e bataillon  commando. Au delà, commençait la zone rouge et la colonne poursuivit prudemment sa progression jusqu’au kilomètre 33 de la route menant à Punia. Le grand pont qui permettait le passage de l’Ulindi fut réparé et laissé à la garde du  7e bataillon commando katangais. Les Léopards poursuivirent leur route vers Kailo, guidés par un ingénieur de la Symétain, et ils ne rencontrèrent aucune résistance. La route traversait la grande forêt de Maniéma et au kilomètre 124, la colonne passa à nouveau l’Ulindi par le bac.


La localité minière de Punia, située à 223 kilomètre de Kindu, fut atteinte le 13 juillet dans la soirée et le lendemain, les commandos s’emparaient de la centrale électrique de Belia. L’aérodrome de Punia, accessible aux bimoteurs DC-3, fut occupé le 15 et laissé à la garde de l’adjudant Vindictien KIYANA, dit « Mufu », chef du peloton B2 (Ce survivant du bataillon Léopard se rendit célèbre en s’emparant de Kolwezi en mai 1978 avec ses Tigres). La colonne se dirigea ensuite vers le poste minier de Tshamaka, puis elle traversa la Lowa et occupa l’huilerie de la Symétain à Firikini où le peloton de l’adjudant MWAMBA fut laissé en garnison. La localité de Yumbi, situé sur la rive gauche de la Lowa, fut atteinte le 20 juillet et laissée à la garde de l’adjudant KAWELE et du peloton C1, renforcé par deux mercenaires européens. Jean SCHRAMME poursuivit l’occupation du Nord Maniéma et le 14 août, il progressait vers Obokote et Lubutu avec le peloton B1 de l’adjudant MULULUA et le peloton A2 de l’adjudant mercenaire Pierre. Il récupéra de nombreux véhicules abandonnés par les rebelles et par la 5e Brigade lors de sa progression vers Stanleyville et il les fit remorquer vers Punia pour les réparer dans les ateliers de la Symétain. Son adjoint le lt Michel HENRICHS s’occupait de sa base arrière et supervisait les travaux, dont la réparation des ponts et la réfection des routes. Le secteur Lubutu-Obokoté fut confié à la 1ère compagnie du lt DENUL, tandis que la police de la Symétain était remise en activité. Le 27 août, les Léopards occupèrent le port de Lowa, sur la rive gauche du Lualaba. Ce port était indispensable au CFL pour assurer le trafic fluvial et l’évacuation du minerai vers Kindu. Ce secteur fut confié au peloton C1 de l’adjudant KAWELE. Le major SCHRAMME reçut les félicitations de la Symétain qui recommença son exploitation minière. Le 1er septembre, il décida de déplacer son PC et ses cantonnements de Punia à Yumbi, où la Lowa a 470 mètres de large et se franchit en bac à moteur. Le peloton B2 de l’adjudant KIYANA y reçut un complément d’instruction. Dix jours plus tard, il repartait en opération en direction d’Obokote avec la compagnie du lt DENUL pour occuper Kirundu, autre port du CFL. Il reçut en renfort plusieurs membres des « commandos du Kivu » (Codoki) qui avait été dissout : Alex MOYAU, Louis DESSY, Louis OTTEN, le cpn Victor VAN BOCHOLT, qui fut nommé officier S4 et le lt Raymond NOEL, auquel il confia la 3e compagnie qui fut stationnée à Walikale. Deux autres mercenaires furent mutés chez les Léopards pour motif disciplinaire, Roger RODRIQUE, qui s’occupa du bar au mess des mercenaires de Yumbi, et Roger MOENS, qui avait servi chez le major de HUCCORNE à Kongolo et au 8e Bn commando à Paulis. Il avait été puni par Bob DENARD car il refusait de saluer le drapeau congolais. Le 15 septembre 1965, toutes les localités du Nord Maniéma étaient aux mains des Léopards de Jean SCHRAMME. Au même moment, le bataillon de Kongolo s’emparait une nouvelle fois de Mazomeno. L’attaque surprit les Simba qui s’enfuirent en pleine panique et les Bahemba encadrés de mercenaires poursuivirent leur progression vers Kabambare où ils résistèrent à de nombreuses attaques de rebelles. Le district du Maniéma était en cours de pacification, mais une grande partie de la province du Kivu était toujours aux mains des Simba.