Lettre de Soeur Ignacienne


Sœur Ignacienne a été à Regina Pacis de 1951 à 1956 (institutrice). Y est retournée en 1972 pour lancer une 4ème année d’école normale primaire, cycle court. Y est restée jusqu’à ce que la communauté laisse l’ensemble aux Sœurs de St Joseph, leurs consoeurs africaines qui oeuvrent magnifiquement dans la région. Elle a enseigné en 1ère primaire et avait organisé la classe en hémicycle (une trentaine d’enfants, garçonnets et fillettes). A Noël, tous savaient lire les petits livres du Père Castor. L’inspecteur n’y comprenait rien, mais constatait les résultats. Elle avait bâti sa méthode à partir d’expériences antérieures. Idem pour le calcul. Les Sœurs Séraphia, Gemma, Rosine, Raphaël et St Remacle sont décédées depuis longtemps déjà… Sœur Paul-Philippe est décédée en 1993.


Regina Pacis à l’origine :

C’est à la demande du Nonce Apostolique, Son Exc. Mgr Dellepiane, à qui des Belges s’étaient adressés pour que l'on crée des écoles pour leurs enfants, ceux-ci ne pouvant rentrer en Belgique à cause de la guerre de 40.  Les Sœurs Blanches de Notre Dame d’Afrique avaient des écoles pour les enfants africaines ; à la demande de l’autorité ecclésiastique,  elles furent chargées de Regina Pacis (Albertville), Stella Matutina (Bujumbura) et St Jean (Astrida / Butare), école primaire et internat. Sous l’impulsion de Sœur Yvonne (Georges de Cappadoce), elles ont obtenu que tout enfant dont les parents demandaient qu’il suive l’école chez elles soit accepté, qu’il soit asiatique, métisse… Il a fallu lutter pour supprimer cette ségrégation. Il y avait, à l’administration coloniale, une commission spéciale pour ces enfants… L’école devenait trop petite, du moins l’internat. Avec Sœur Georges de Cappadoce, une salle de gymnastique a été aménagée en dortoir.

Sœur Yvonne rêvait d’une belle chapelle, sur la colline, en haut de l’ensemble de Regina Pacis (sur le côté, il y avait la salle des scouts). Pour arriver à construire cette chapelle, une fancy-fair a été organisée. Les familles d’Albertville y étaient fort associées. Sœur Ignacienne se souvient aussi qu’à la fin de cette journée, excitée par la musique, une vache en furie s’est amenée parmi les étals. Elle s’était enfuie du bateau venant de Moba… Tandis que certains faisaient signe de se sauver, Sœur Yvonne (Georges de Cappadoce), qui n’avait pas compris, a dû s’enfuir et a sauté en une fois les dix escaliers… elle s’est blessée au genou et en a toujours souffert.

"Avec les enfants, il était aisé de prévoir le temps, les orages sur le lac. Ils étaient alors, surtout les plus jeunes, très nerveux.
Le dimanche, nous allions au lac avec eux. Cela demandait une surveillance sans faille. Un après-midi, ayant deviné la présence d'un crocodile grâce aux remous dans l'eau, les enfants ont été rassemblés en vitesse et nous sommes rentrés ; nous étions d’autant plus vite en alerte, qu’un petit garçon d’un des serviteurs de Regina Pacis avait été happé. Les crocodiles étaient très nombreux ; nous avions surnommé un chemin du côté de la ferme Holland, à Kamkolobondo, « avenue des crocodiles »."

Le retour en vacances, en train vers Kindu et Kabalo était toute une aventure et peu aisé à organiser car les enfants passaient la nuit dans le train. Et l’arrivée des petits à la rentrée… c’était aussi très dur d’être interne à 6 ans, loin de ses parents. C’était bouleversant.

Nous sommes nombreux sans doute aussi à nous souvenir du Père De Boodt, l’aumônier, si bon avec les enfants.

L’Indépendance et après :

Les temps de l’Indépendance, de la rébellion à Albertville, furent très durs. L’école a évolué et est devenue une école secondaire pour filles. Elle a vécu tous les problèmes de l’époque: l’obligation de chanter, à la levée du drapeau, des slogans à la gloire du MPR, l’obligation d’enlever les crucifix, non sans offrir une certaine résistance. Ecoles reprises par l’Etat, dirigées par des personnes nommées par l’Inspection officielle… Cette nouvelle direction a été imposée.

A Noël, le jour férié étant supprimé, il fallait donner cours. Le Directeur, assez froussard, n’a pu obtenir que les professeurs donnent cours. Tous et toutes, prof et élèves ont résisté et chanté des chants de Noël durant toute la journée.

En 1975, les Sœurs de St Joseph ont pu reprendre la direction de l’école. Les contacts avec la population étaient beaucoup plus nombreux. Les écoles primaires de St Pierre Claver et St Louis servaient d’école d’application, de stages d’enseignement.  Une des sœurs, Maria Haller, enseignait à l’Athénée. Ce fut une chance pour bien des grands gars, car Sœur Maria (Clémencienne) suivait très fort ses élèves qui réussissaient aux examens d’Etat, ce qui n’était guère le cas avant.

En 1994 (?), la chapelle a totalement brûlé ; il y a eu un feu de brousse en bas de la colline à Kamkolobondo et, comme notre brave vieux serviteur Albert n’était plus là pour débroussailler, le feu a gravi celle-ci… Comme il n’y avait personne à la salle de communauté à ce moment, les Sœurs de St Joseph n’ont pu que constater les dégâts… En plus de la maison sise sur la colline à la paroisse du Christ-Roi (St Pierre Claver), il y avait deux petites communautés à la cité : Mahila et Kifungo. Actuellement, les Sœurs Blanches de Notre Dame d’Afrique sont toujours à Kalemie, en service d’Eglise, pour la population ; la direction des écoles et d’autres œuvres ont été cédées aux Sœurs de St Joseph (Fondation diocésaine de religieuses formées par les Sœurs Blanches de N.-D. d’Afrique et autonomes actuellement) ; celles-ci continuent à aider à la croissance de ce que leurs prédécesseurs ont semé, elles innovent et rayonnent même en dehors du diocèse.

Cette année 2004, il a été rappelé la lutte antiesclavagiste menée par le Cardinal Lavigerie, notre fondateur, informé par les premiers missionnaires. C’est alors que le cardinal a été en relation avec Stanley et le Roi Léopold II. A l’endroit qui allait devenir plus tard Albertville, la lutte a été rude, les esclavagistes arrivaient par le Tanganyika et allaient vers le Maniema. Des soldats belges sont morts pour cette noble cause. Il existe à Albertville un endroit, auprès d’une butte ombragée où étaient enterrés les restes d’un soldat belge qui avait été massacré durant ces combats. Il est si rare que l’on parle de l’impact et des événements tragiques du temps de l’esclavagisme…

Sœur Ignacienne (Jeanne Gillerot+, 24-12-2014),
Sœurs Missionnaires de N.-D. d’Afrique
12 janvier 2005