L’opération « Banzi »
Le commandant Chè GUEVARA aurait voulu constituer avec ses Cubains une force mobile capable de mener une véritable campagne militaire, mais il lui était impossible de rassembler plus de trente ou quarante Cubains à cause de leur dispersion sur un territoire très étendu. L’entraînement dispensé par les Cubains commença à donner des résultats et le nombre d’embuscades réussies augmenta. Pendant ce temps, le ltcol Roger HARDENNE établissait les plans de l’opération « Banzi » qui mettait en œuvre près de 3.000 hommes de l’ANC. La première phase de cette opération qui devait aboutir à un bouclage complet des rives du lac, débuta par l’occupation du port de Baraka. Cet objectif vital pour les Simba était défendu par un bataillon de l’APL de 540 hommes commandé par le col WASOSHI et le ltcol Abedi KABWE formé en Chine Populaire. La majorité de ces Simba provenaient de la tribu babembe, qui avait causé beaucoup de problèmes à l’administration coloniale belge avant l’indépendance, et parmi laquelle Patrice LUMUMBA avait trouvé de nombreux partisans en 1960. Cette ethnie de la région de Fizi-Baraka comptait près de 100.000 individus et occupait une grande partie de la région bordant le lac Tanganyika sur une profondeur de 80 km jusqu’à la zone montagneuse de l’Itombwe. Elle s’était engagée à fond dans la rébellion du CNL qui luttait contre le pouvoir en place à Léopoldville. En vue de l’opération amphibie, des navires et des barges du CFL furent réquisitionnés par le QG/Ops Sud et la flottille d’Ops Sud se regroupa dans le petit port de la cimenterie de Kabimba exploitant le calcaire du lac Tanganyika. Elle comprenait la vedette des Douanes « Luka » et quatre navires, dont le « MS Président Ermens » qui remorquait les vedettes rapides.
Le convoi de débarquement transportant les troupes d’assaut et le charroi du 5e bataillon Commando sud-africains du major HOARE se mit en route durant la nuit car la tactique du QG/Ops Sud consistait à frapper l’ennemi par surprise. Le 27 septembre 1965 avant l’aube, une navette de vedettes rapides déposa 180 commandos sud africains près du port de Baraka. Ils furent appuyés par l’artillerie du « MS Urundi » et par deux B-26K et six T-28D du WIGMO. Des violents combats se déroulèrent pour la capture du port. Mike HOARE avait divisé son unité en deux groupes et le même jour, son adjoint le cdt WICKX déclencha une attaque terrestre en direction de Fizi. Partie de Lulimba, localité située à 190 km d’Albertville, la colonne des Sud Africains progressa de trente kilomètres sous la protection de T-28D du WIGMO, mais son avance fut stoppée le 28 septembre à Lubondja par des Simba encadrés de Cubains. Deux blindés Ferret furent touchés par des roquettes et des tirs d’armes lourdes et des obstructions diverses (mines, ponts coupés, etc) empêchèrent les Sud Africains de forcer le passage. Suite aux difficultés rencontrées par le cdt WICKX lors de sa progression, l’Etat Major du secteur « Ops Sud » lui ordonna de retourner à Albertville le 8 octobre pour embarquer sur un bateau de ravitaillement avec ses commandos, deux compagnies de soldats congolais et du matériel lourd dans le but de renforcer les commandos de Mike HOARE à Baraka. L’attaque sur Lubondja fut confiée au 9e Bn Commando katangais renforcé par le peloton de mercenaires du cpn PIRET, unité détachée du 6e Bn Commando européen.. Le 9e bataillon Commando katangais fut relevé par le 5e bataillon d’Infanterie ANC du colonel MUDIMBI et il fut ramené à Albertville où le Dépôt de Ravitaillement Avancé (DRA) de l’adjudant HENRARD compléta son équipement.
Pour effectuer l’attaque sur Lubondja, le capitaine KANIKI bénéficia de l’aide logistique d’une équipe de l’Assistance Technique et Militaire Belge (ATMB) commandée par le cdt MARCHAND dont l’adjudant BRUNEEL faisait partie. Après un court entraînement commando, les hommes du 9e bataillon furent transportés en camions à Lulimba, d’où ils progressèrent à pieds vers Lubondja avec les mercenaires du cpn PIRET. Ils marchaient largement déployés en empruntant des pistes de montagne pour éviter la route encombrée d’obstacles, mais ils se heurtèrent à des maquisards de l’APL bien retranchés et subirent plusieurs embuscades. Les guérilleros de l’Armée Populaire de Libération étaient persuadés que les rituels de nature magique, tel le baptême par les sorciers, le port d’amulettes magiques « Dawa » et une consommation abondante de chanvre les rendaient invulnérables aux balles, mais malgré leur « Dawa », la résistance des Simba commença à faiblir et les escarpements qu’ils défendaient furent capturés par les Katangais. Pendant ce temps à Baraka, les 350 commandos sud africains de Mike HOARE faisaient échec aux contre-attaques des rebelles simba grâce à l’appui aérien et naval dirigé par le QG d’Ops Sud. Le 9 octobre, la localité portuaire tomba entre les mains des Sud Africains, dont les pertes s’élevaient à trois morts et six blessés. Le bataillon de l’APL commandé par le col WASOSHI avait eu 90 tués et de nombreux blessés. Le port de Baraka fut laissé à la garde des deux compagnies de soldats congolais afin de permettre à Mike HOARE d’organiser l’attaque en tenaille de Fizi avec deux colonnes du 5e Bn Commando Sud Africain. Elles convergèrent rapidement vers cette place forte rebelle qui fut occupée le 10 octobre 1965.
Les Simba du 2e bataillon de l’APL avaient subi de lourdes pertes et ils se retirèrent dans les montagnes. Mike HOARE envoya des patrouilles dans la région environnante pour les déloger et plusieurs villages qui servaient de refuges aux rebelles furent incendiés. Des documents trouvés par les Sud Africains dans le PC rebelle de Fizi fournirent des renseignements supplémentaires sur les bases du Front de l’Est de Kibamba-Yungu, (dite Luluabourg), et sur celles de Mutambala, M’Boko, Kalundu, et Balabala. Certains rapports éclairèrent la CIA sur l’aide extérieure fournie aux rebelles par la Chine populaire. D’autres traitaient des stagiaires envoyés dans les pays communistes pour y suivre des cours de guérilla. Dans une lettre adressée à Fidel CASTRO, Chè GUEVARA, alias « Tatu » écrivait que des sérieuses dissensions existaient entre Gaston SOUMIALOT, président du Conseil Suprême de la Révolution, réfugié au Soudan après la chute de Stanleyville, et Laurent-Désiré KABILA, second vice-président du CSR et Commandant Suprême de l’Armée Populaire de Libération du Front de l’Est. Ses dissensions affaiblissaient les rangs des Simba qui manquaient de combativité. Ils avaient abandonné Baraka et Fizi sans grande résistance, comme ils avaient perdu Albertville en août 1964. Une grande partie des régions conquises par les Simba était tombée aux mains de l’ANC et Chè GUEVARA terminait sa missive au « Leader Massimo » en demandant des cadres supplémentaires et des nouveaux lances-roquettes RPG.
Le 13 octobre 1965, le 5e Bn Commando de Mike HOARE parvint à Lubondja et effectua la liaison avec le 9e Bn Commando katangais. Les hommes du cpn KANIKI s’enfoncèrent ensuite dans la zone montagneuse pour nettoyer le terrain en direction du sud. Leur objectif était le village de Makungu qui fut atteint une semaine plus tard en progressant par des sentiers de montagne. Les combattants de l’APL s’étaient repliés devant l’avance des troupes gouvernementales et les commandos katangais s’emparèrent de nombreux dépôts ennemis et d’un hôpital de campagne de fabrication chinoise. Une grande partie de ce matériel fut détruite sur place, mais les Katangais emportèrent un important butin qui ralentit leur avance. Pendant ce temps, les avions du WIGMO poursuivaient ses patrouilles sur la région montagneuse et survolaient le lac, en se tenant à distance respectable de la DCA ennemie. Un bimoteur Douglas B-26K fut endommagé par des tirs ennemis, tandis qu’un monomoteur T-28D Trojan s’abattait dans le lac (un deuxième T-28D se crasha au décollage par accident). Au début des attaques aériennes, les Simba de tous grades n’avaient pas peur de l’aviation car ils possédaient le médicament magique qui rendait invulnérable aux avions, mais après avoir subi plusieurs pertes, ils apprirent à s’en méfier. L’offensive se poursuivit par le nettoyage de la région au nord de Bendera par le 5e bataillon d’Infanterie. Ce bataillon de soldats congolais, renforcé par la 3e compagnie du 12 Bn d’Inf ANC et la 2e compagnie du 8e Bn d’Inf ANC, remonta ensuite vers Lubondja à travers les montagnes où opèrait le 9e Bn Codo katangais.
Victoire incomplète
Durant cette phase de l’opération, le gouvernement congolais connut une crise majeure et le premier ministre Moïse TSHOMBE fut démis de ses fonctions le 13 octobre par le président KASA VUBU qui désirait licencier les mercenaires de l’ANC. Le général BOBOZO, commandant du 4e Groupement ANC, se rendit en hélicoptère à Baraka pour rassurer Mike HOARE, inquiet des rumeurs faisant état du renvoi des volontaires étrangers dans leur pays. Les soldats congolais avaient dépassé Katshoka lorsque des rebelles, encadrés par des Cubains menés par le cdt Oscar MELL (alias Siki), leur opposèrent une résistance acharnée. L’ennemi fut attaqué sur ses arrières par le 9e Bn Codo katangais et harcelé par les monomoteurs NA T-28D Trojan, mais aucun Barbudo ne fut capturé. Le commandant Oscar MELL se dégagea habilement et se replia avec ses hommes et les armes lourdes vers les berges du lac Tanganyika, situé à une cinquantaine de kilomètres. La jonction du 9e bataillon Commando katangais et du 5e bataillon d’Infanterie, les deux unités participant à cette opération en tenaille, eut lieu entre Makungu et Katshoka. De son côté, le 2e bataillon Para-commando ANC nettoyait les berges du lac au nord du port de Kabimba en direction de Katalo et de Bondo. Cette opération de nettoyage reçut le soutien aérien de l’aviation du WIGMO qui effectua plusieurs sorties. Lors de cette opération menée par l’ANC, les para-commandos furent continuellement attaqués par les Simba babembe qui avaient posé des mines anti-personnelles. Le 5e Bn Codo Sud Africain débarqua à Kasimia le 19 octobre et chassa les Simba dans les montagnes.
Le major HOARE réclama des renforts à Ops Sud pour relever ses commandos et leur permettre de ratisser la zone comprise entre Fizi, Lubondja et les rives de la presqu’île de l’Ubware. La 3e compagnie du 12e bataillon d’Infanterie ANC fut cantonnée à Kasimia et effectua des patrouilles aux alentours, mais le 24 octobre, l’une d’elle tomba dans une embuscade. Pendant ce temps, les Sud Africains du 5e bataillon Commando, appuyés par le navire « Urundi » qui patrouillait au large, faisaient mouvement vers Uvira en longeant les berges du lac. Malgré leur « Dawa » et l’eau magique des sorciers, les maquisards perdaient du terrain devant les forces gouvernementales. Au lieu d'être à la tête de ses combattants, Laurent-Désiré KABILA était bien à l’abri dans son appartement de Kigoma transformé en poste de commandement et il faisait de très rares apparitions à son PC de Kibamba-Yungu, baptisé « Luluabourg ». Il semblait peu préoccupé par les désastres militaires. Quant à son chef d'état-major Ildephonse MASENGO, dont on ne pouvait citer aucune action militaire qu'il ait dirigée personnellement, il faisait tranquillement la guerre loin du front où il ne courait aucun danger. Poursuivant leur avance, les Sud Africains pénétrèrent dans la zone d’Uvira-Kikongo, qui avait été confiée en juin 1965 au ltcol de l’APL Daniel NDUNIA, adjoint direct de Laurent-Désiré KABILA. Pendant ce temps, le 4e Choc du cpn DULAC progressait à partir d’Uvira avec des soldats katangais et congolais en ratissant les collines bordant le lac pour prendre les rebelles en tenaille. Un PC tactique fut mis en œuvre dans la zone des combats et le ltcol HARDENNE effectua de fréquentes visites aux unités en hélicoptère.
Ce PC pouvait fonctionner à bord d’un avion ou d’un bateau et l’amélioration des conditions atmosphériques lui permit de suivre les opérations du haut des airs dans un DC-3 de la FATAC mis à sa disposition par le ltcol CAILLEAU. Suite aux mauvaises conditions atmosphériques, le chef de la FATAC dut annuler plusieurs parachutages et la pluie interdit aux avions d’appui du WIGMO d’attaquer les rebelles. Le mauvais temps empêchait également aux hélicoptères Bell 47 d'évacuer les blessés qui décédaient faute de soins Chaque crête était défendue par les Cubains qui menaient des manœuvres de retardement et avaient miné les sentiers. La progression des forces d’Ops Sud fut lente et difficile, les hommes du 9e bataillon Commando katangais et du 5e Bn d’Infanterie de l’ANC souffraient des mauvaises conditions atmosphériques et des embuscades. Malgré le temps, les opérations contre les rebelles se poursuivirent avec succès et les dernières positions cubaines défendant les crêtes bordant le lac furent brisées. L’avant-garde du 9e bataillon Commando katangais s’approcha de la base de Kibamba qui était pratiquement encerclée. Pendant ces combats, Laurent-Désiré KABILA ne s’était guère déplacé de Kigoma où il collectionnait les aventures féminines et menait la belle vie. Le 19 novembre, il apprit que l’ANC menaçait la base de Kibamba (surnommée Luluabourg) et il donna l’ordre à Ildephonse MASENGO de l’évacuer. Depuis son PC de Sele, situé à une quinzaine de kilomètres au sud de Kibamba, le commandant Chè GUEVARA alerta le capitaine LAWSON, alias « Changa », chargé de la flotte de ravitaillement à Kigoma et l’évacuation des hommes de l’Etat Major du général MASENGO et des conseillers cubains vers la Tanzanie fut programmée pour la nuit suivante au port de Yungu. Pris au piège, les Simba furent gagnés par la panique et tentèrent une retraite à travers les lignes de l’ANC où par le lac.
Après des jours d'une marche épuisante, les commandos katangais, trop fatigués pour profiter de leur avantage, observèrent la fuite des embarcations rebelles du haut des crêtes. Depuis le DC-3 de la FATAC transformé en PC tactique d’Ops Sud, le ltcol HARDENNE observa également les embarcations chargées de rebelles en fuite et le chef d’EM d’Ops Sud donna l’ordre à la flottille et aux avions d’appui d’intervenir, mais ces deux unités aux ordres de la CIA ignorèrent les ordres transmis (ils auraient laissé s’échapper l’ennemi car des tractations politiques étaient en cours entre Washington et La Havanne). Cette victoire incomplète provoqua une grande déception parmi les troupes du col KAKUDJI. Le Quartier Général de l’Armée Nationale Congolaise annonça le 20 novembre la prise des bases de Mutambala et de Kibamba-Yungu, (dite Luluabourg), qui étaient tombées intactes aux mains des commandos katangais et des soldats congolais. Les dépôts et les casemates de ces importantes bases rebelles avaient été abandonnés précipitamment par les Cubains de Chè GUEVARA qui n’avaient pas eu le temps de poser des pièges. Les hommes du 9e bataillon Commando katangais et ceux du 5e Bn d’Infanterie mirent la main sur des documents, dont une liste des Cubains qui oeuvrait dans cette base et ils s’emparèrent d’un énorme matériel fourni par l’aide communiste. Une partie était stockée dans des abris enterrés et il fallut plusieurs jours pour détruire ce qui ne pouvait être emporté et pour regrouper les 600 tonnes de matériel récupérable, dont des fusils automatiques russes et chinois livrés en grande quantité, afin de l’évacuer par bateau vers Albertville. Les avions du WIGMO, les patrouilleurs Swift et les vedettes rapides reprirent leurs patrouilles sur le lac et quatre bateaux rebelles furent coulés.
Le 24 novembre 1965, le Haut Commandement de l’ANC confia le pouvoir politique à Joseph-Désiré MOBUTU et le général BOBOZO fut nommé à la tête de l’ANC. Après un bref repos à Kibamba-Yungu, les commandos katangais effectuèrent une opération de pacification afin de ramener les Babembe dans leurs villages. Le 5e Bn d’Infanterie fut affecté à une tâche identique durant près de trois mois. Pendant que le 9e bataillon Commando katangais et le 5e Bn d’Infanterie ANC patrouillaient à l’intérieur du territoire babembe, le 3e bataillon Commando ANC, opérant à partir de Kasongo, occupait Wamaza où une trentaine de Simba se rendit, tandis que le bataillon Kongolo, composés de Bahemba, tenait la région Mazomeno-Kabambare et patrouillait vers Pene Lunanga. L’APL ne restait pas inactive malgré les pertes subies et le 7 novembre, les Simba attaquèrent vers Kabambare et le bataillon Kongolo dut abandonner ses positions sur la Luama pour se replier sur la Luika. La panique s’empara des habitants de Kongolo car on signalait des véhicules rebelles sur la route de Kabambare.