Paralysie de la vie économique
L’hostilité des Baluba Bene Kabongo augmentait de jour en jour et paralysait toute l’activité économique de Kabongo. Plusieurs capita-vendeurs avaient disparu des magasins et le ravitaillement des commerces installés en brousse était presqu’impossible. Les magasins des villages de Sashi, Makona et Mukose avaient été pillés et la récolte du coton était à l’arrêt suite aux menaces qui pesaient sur les marchés du coton installés dans les villages. Monsieur Dumont de la Cotanga avait dû s’enfuir de Kashikwa en tirant des coups de feu en l’air après avoir été assailli par plusieurs individus hostiles qui lui avaient porté des coups. Messieurs Halloin et Pander de la Cotanga et Pondant et Marbehant de la Bunge furent obligés de restreindre leurs activités pour éviter la destruction de leur matériel et le vol de l’argent destiné aux achats de coton. L’administration était également paralysée et plus rien ne fonctionnait dans les bureaux de la population, dans le bureau de perception des impôts, ni dans les postes de police et les tribunaux de circonscription. A deux reprises, des officiers de police judiciaires reçurent des menaces directes alors qu’ils accomplissaient leur travail. Des infirmiers du dispensaire et l’opérateur du poste de Télégraphie sans fil (TSF) furent également menacés de mort par la délégation BBK qui placardait des avis mettant en garde la population contre les conseillers techniques européens considérés comme des traîtres hostiles à la population. Dans la nuit du 31 août au 1er septembre 1960, des réunions de la Balubakat furent organisées à Lubiai pour organiser le pillage systématique du centre commercial de Kabongo et des commerces installés dans les villages aux alentours. Une bande d’une soixantaine de rebelles se rassembla près de l’hôtel des MAS et s’informa auprès des casques bleus éthiopiens de leur attitude en cas d’attaque et de pillage des commerces du village. Le conseiller technique De Strooper s’inquiéta de cette démarche et interrogea le chef du détachement de l’ONU qui préféra ne pas répondre. Elisabethville fut averti le jour même par message radio sur la situation. Le message signalait que le territoire se trouvait sans forces de l’ordre katangaises et que la Police était inexistante. Un petit détachement de cinq policiers territoriaux fut envoyé sur place, mais ils ne pouvaient pas faire grand chose. Deux jours plus tard, deux magasins du centre commercial de Kabwila furent pillés, dont celui du Portugais Morais qui se plaignit auprès de M. De Strooper. Celui-ci demanda d’être escorté par l’ONU pour enquêter sur place. Après avoir refusé, les cinq policiers territoriaux acceptèrent de l’accompagner et le chef Dibwe Kaloa Boniface, sollicité à trois reprises, accepta de se joindre à eux. Quelques rebelles coupables d’avoir participé au pillage furent appréhendés et déférés au tribunal de la circonscription. Messieurs Cornet et Colin, commerçants dont les négoces se situaient dans le nord du territoire furent obligés d’abandonner leurs biens pour se réfugier à Kamina et lors de leur passage à Kabongo, ils signalèrent qu’ils avaient été ralenti par de nombreuses barricades et qu’ils avaient du monnayer leur passage. Peu après, des pillards tentèrent à nouveau de s’attaquer aux magasins du centre commercial de Kabongo, mais l’arrestation d’un des meneurs ramena le calme. L’anarchie s’installait dans toute la région du Nord Katanga où les partisans de la BBK semaient la terreur parmi ceux qui avaient choisi le camp de la Conakat. La révolte s’étendait de Bukama chez les Baluba ya Maï, le long du fleuve Lualaba jusqu’à Kabalo et Albertville avec pour conséquence que le rail était coupé. Le CFL avait dû également arrêter la navigation sur le fleuve Lualaba et les avions d’Air Katanga évitaient de se poser à Kabalo et à Manono. A Elisabethville, l’Etat Major de la Gendarmerie Katangaise forma deux Groupes Mobiles avec le groupe de reconnaissance. Ils furent composés de Katangais encadrés d’officiers et de sous- officiers belges et disposaient de jeeps-mitrailleuse de marque Willys. Suite à l’assassinat de deux policiers, dépiautés comme des lapins et plongés dans un bain de piment par des rebelles, le Groupe Mobile « A » du capitaine Jacquemart fut embarqué sur un train BCK à E’ville avec mission de patrouiller dans la région du fleuve Lualaba. L’adjudant Lanis participait à l’opération avec un peloton de gendarmes. Ils débarquèrent du train à Kabondo Dianda le 4 septembre et la colonne se sépara en deux, l’adjudant Lanis se dirigea avec un camion chargé de gendarmes vers Kisenga et le Groupe Mobile prit la route de Bukama-Malemba Nkulu. L’adjudant Lanis fut tué avec ses hommes dans une embuscade et il n’y eut qu’un seul survivant qui réussit à rejoindre Kamina à pieds. Les Bajeunesses ivres de chanvre étaient persuadés de leur invulnérabilité grâce au « Bwanga » et aux fétiches qui étaient portés sur le corps ou dans les vêtements et ils attaquaient sans craindre les balles. Le 5 septembre, alors que le Groupe Mobile poursuivait sa route vers Malemba Nkulu, il rencontra de nombreuses embuscades qui furent brisées à coups de grenades et de rafales de mitrailleuses .30. Le capitaine Jacquemart devait faire face à une sérieuse résistance et il subit des pertes suite à l’enrayage des armes automatiques. Il fut tué à Masese dans une nouvelle embuscade et plusieurs de ses hommes furent blessés. Les survivants eurent la chance de rencontrer une patrouille de casques bleus éthiopiens qui les protégea de la population des villages proches du Lualaba qui voulait les massacrer. Après avoir été désarmés, ils furent conduits à Malemba Nkulu et l’Etat Major d’E’ville, mis au courant de la situation, envoya l’hélicoptère Sikorsky H-19 et les Alouette II de l’aviation katangaise pour effectuer une opération d’évacuation à partir de Mitwaba. Par le tam tam de la brousse, la population apprit rapidement que la Balubakat avait remporté une grande victoire sur les forces de la Conakat. Pour arrêter l'ANC qui se préparait à attaquer à partir du Kivu, le QG de la Gendarmerie Katangaise envoya le Groupe Mobile « B » du lt Tchene à Kongolo. Il y parvint par train via Kabongo le 5 septembre 1960. Ce Groupe Mobile eut quelques escarmouches avec l’ANC au nord de Kongolo, notamment à Lubunda, sur le rail menant à Kindu. La mission du lt Tchene dura jusqu’au 20 septembre, puis il retourna à E'ville où il fut accueilli en triomphe avec ses hommes au cours d’un défilé militaire le 24 septembre. Le Groupe Mobile « A » fut reformé, tandis que le Groupe Mobile « B » fut scindé en deux pour former le Groupe Mobile « C ». Ces trois groupes furent équipés de jeeps Minerva provenant de Baka.
Extension de la révolte Balubakat
Les Baluba utilisaient le tam-tam comme moyen de communication à longue distance et suite à l’appel à la mobilisation générale, les guerriers ressortirent leur Pou Pou (sorte d’arquebuse), leurs arcs et leurs flèches empoisonnées pour combattre les soldats katangais et les tribus ralliées à la Conakat. Les voies secondaires menant à Kabongo furent barrées par des groupes Jeunesses Baluba,dit « BaJeunesses » qui montaient la garde aux barrages et contrôlaient le passage des personnes et des véhicules. La campagne de terreur lancée par les leaders Balubakat dans le Nord du Katanga déclencha un véritable massacre, car les BaJeunesses se déplaçaient en camions pour mener des attaques contre les villages restés fidèles au président Tshombe, notamment dans le fief du mulopwe Kasongo Nyembo. Après la conquête d’une localité, l’autorité était confiée à des « sénats du Cartel » BBK/Atcar qui trouvaient des alliés parmi les habitants. D’autres rebelles, provenant de la région du fleuve Lualaba et de Kabinda au Kasaï, se joignirent à la révolte et furent accueillis dans les villages contrôlés par la BBK où ils trouvaient à boire ou à manger avant de partir en opération. Le muganga confectionnait le « Bwanga » assurant l’invincibilité et il leur faisait avaler avant chaque raid de terreur. Le « Bwanga » exigeait souvent des sacrifices humains pour être plus efficace et les sorciers baluba prélevaient les organes vitaux sur les cadavres ou des captifs encore vivants pour la confectionner. Lors de la révolte des Baluba, le « Bwanga » fut utilisé pour trois choses principales : satisfaire les aspirations du peuple baluba, tuer les ennemis « Conakat » et être protégé contre les tirs ennemis. Les guerriers recevaient également des fétiches dont la protection dépendait de certains interdits, sous peine de perdre de leur efficacité. Il était facile au féticheur de rejeter la cause de la mort de son client sur le fait qu’il n’avait pas respecté ces interdits. Le « Bwanga ya Miepu » était sensé les protéger des balles et les rebelles s’avançaient par vague contre les Katangais, sans ressentir de crainte. Des chefs traditionnels furent jugés par les sénats du Cartel BBK comme collaborateurs de la Conakat et ils furent horriblement torturés. Des Européens, des évolués et des cadres de l’administration territoriale mise en place par le gouvernement du Katanga sécessionnistes, furent également massacrés par les BaJeunesses, notamment à Kabalo où l’administrateur Grégoire Nkulu fut tué après d’horribles tortures, et à Manono où plusieurs chefs pro-Conakat furent brûlés vifs. Ces bandes armées permirent à la révolte BBK de gagner du terrain avec l’appui de la population qui participait au pillage en règle des bâtiments de l’administration et des commerces. L’arme favorite des BaJeunesse étaient les massues munies de chaînes de vélo, dont les maillons étaient aiguisés comme des rasoirs. Leur supplice favori était de faire courir leurs victimes en les frappant aux bras et aux mollets pour leur arracher toute la chair. Un autre de leurs supplices favori était de leur couper les jambes à hauteur des genoux, de fixer des bâtons dans les moignons et de faire avancer leurs victimes à coups de chaînes de vélo. Lorsque le malheureux s’écroulait, il lui faisait boire de l’essence et le brûlait vivant. Lors des attaques, les BaJeunesses BBK formaient troupes de choc de la première vague d’attaquants. Ils étaient baptisés par les sorciers ou féticheurs qui les droguaient avec certaines décoctions contenant du chanvre, leur procuraient le « Dawa » (fétiches, sensé les protéger des dangers) et encadrés de guerriers rebelles plus âgés qui étaient armés d’armes coutumières (arcs et flèches, lances, gourdins) ou de Pou Pou, de quelques armes à feu modernes, de machettes et de haches. Ce fut une guerre sans merci qui fit des centaines de victimes, car les Katangais les décimaient à la mitrailleuse pour ne pas être submergés. Faute de moyens suffisants, les gendarmes katangais durent rester sur la défensive, alors que le terrorisme gagnait du terrain et plongeait le Nord Katanga dans la ruine et l'anarchie. L’action de la Gendarmerie Katangaise fut également paralysée les casques bleus de la Force des Nations Unies qui limitaient ses mouvements. Deux missions katangaises furent envoyées en Europe en septembre dans le but d’embaucher des techniciens européens (mercenaires) pour la Gendarmerie et l’Avikat. Pour parer au plus pressé, il fallut procéder à l'organisation de forces supplétives parmi les populations restées fidèles, notamment les guerriers baluba Shankadi du Kasongo Nyembo Emmanuel Ndaye menés par le cdt Lamouline, les guerriers lunda du Mwata Yamvo Yava Nawej III, les guerriers bahembe de Kongolo et les guerriers bayeke du grand chef Antoine Mwenda Munongo, dont les chefferies étaient particulièrement menacées par la rébellion. Ces guerriers reçurent une solde de 50 FC par jour. Chaque chef important reçut un fusil FAL perfectionné avec 50 cartouches et un stock de fusils Mauser récupéré lors du désarmement des mutins. Kasongo Nyembo reçut 1020 fusils, Antoine Mwenda Munongo en reçut 200, le Mwata Yamvo environ 150 et 250 chefferies indigènes de moindre importance reçurent chacune un petit lot d’armes, dont le chef de Kongolo. Cet armement permit également la formation de la police supplétive du Katanga par le commissaire en chef Gérard Soete. Il s’était rendu à Kaminaville où le grand chef Kasongo Nyembo lui avait fourni une centaine de Baluba pour former la Police supplétive du district du Haut Lomami qui fut commandée par le commissaire Sauveur. Elle était chargée du maintien de l’ordre dans les villages du district et appuyait les guerriers en cas de besoin. Le commissaire Sauveur reçu une centaine de fusils Mauser et des uniformes. Cet uniforme se composait d’un pantalon, d’une chemise et d’un calot bleu foncé orné d’un blason katangais en tissus imprimé.