Léopold II - Fondateur d'Empire

Auteur : Lieutenant-Colonel Liebrechts (pionnier) - Office de Publicité, 1932

Extraits :

''L'œuvre scientifique et moralisatrice'' p.236

Au début de la pénétration belge, on fut frappé des fléaux qui décimaient la population.

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La variole régnait à l'état endémique; quand elle prenait un caractère épidémique, elle faisait des ravages effroyables; les habitants de villages entiers étaient fauchés.

On procéda d'abord à la vaccination systématique de tous les employés des stations…..


Depuis 1900, càd depuis que les indigènes se sont soumis à cette mesure (vaccination) prophylactique, les vraies épidémies ont disparu.

…. une autre maladie, bien plus considérable et bien plus terrible dans ses conséquences, se révéla : la maladie du sommeil … n'épargnant que les individus les plus réfractaires au mal.

On peut dire que la moitié de la population totale du Congo y a succombé.


Le Roi encouragea personnellement les recherches pour découvrir les causes du mal ainsi que le remède capable de le combattre et institua un prix de 100.000 frs à accorder à celui qui le trouverait.  Il subsidia les écoles de médecine tropicale étrangères, leur fit des dons et supporta partiellement le coût des missions d'études que les célèbres instituts spéciaux de Londres et de Liverpool envoyèrent au Congo sur ses instances. 

Il suivait en outre avec intérêt les travaux du célèbre Dr Ross, de Liverpool, qui s'occupait spécialement de la malaria en vue de découvrir …..


Les attaques contre l'œuvre royale

Avant qu'il fût question du Congo, nos hommes d'Etat étaient divisés quant à l'utilité pour la Belgique de se réserver des terres de colonisation….

D'autre part, la ferme volonté du Roi de ne pas laisser entamer les frontières de son empire colonial et l'énergie qu'il mettait à défendre ses droits, tendirent à l'excès, à certains moments, les rapports avec plusieurs Puissances étrangères.  A vrai dire, quand les affaires prenaient une bonne tournure d'un côté, la tension augmentait de l'autre.


Dans ces conditions, l'atmosphère qui entourait l'entreprise royale était favorable aux intrigues, aux attaques aussi, et fatalement des critiques se produisirent avec passion et violence.

Les meneurs étrangers étaient écoutés à Bruxelles, même reçus et fêtés dans certains milieux, où on leur fournissait les renseignements dont ils manquaient pour leur campagne de dénigrement.  N'étaient-ils pas tous, en effet, les artisans désintéressés d'une noble cause, n'ayant qu'un but : abattre l'autocratie?

Aussi, la lutte ne tarda-t-elle pas à s'engager; nous allons en suivre les développements.


Elle débuta en Belgique en 1892, par un conflit économique.  L'Etat Indépendant du Congo s'était réservé la propriété exclusive de tous les produits domaniaux.

Cette politique économique allait évidemment procurer au Souverain de larges ressources, dont à plaisir on exagéra l'importance et à l'étranger, on commença à entrevoir la possibilité pour le Roi de poursuivre avec succès sa vaste entreprise.


Ce dernier voyait nettement, sa fortune personnelle étant engloutie, et la Belgique ne se montrant pas disposée à l'aider suffisamment, que pour développer son œuvre et l'amener à son plein épanouissement, il fallait tirer du Congo même un surcroît de ressources.  Le Souverain estimait que l'intérêt général devait tout dominer.

Devant cette obstination, les passions s'exaspérèrent.

La lutte ardente qui s'engagea dès lors entre Belges, fut suivie avec attention à l'étranger.

Et bientôt se manifestèrent les premières attaques étrangères.

Un employé d'une des sociétés congolaises, fils du major Parminter, attacha le grelot.  Ce qu'il raconta était de nature à impressionner et alimenta pendant des années la campagne de calomnies, car ces attaques avaient véritablement ce caractère.  Il s'agissait dans l'espèce d'un officier belge qui aurait fait couper la tête à une jeune négresse, pour s'approprier le collier de cuivre qu'elle portait au cou.  La chose fit scandale évidemment; c'est pourquoi d'ailleurs on lui donna une si grande publicité.  La justice anglaise proclama par la suite la fausseté de cette accusation.

….

Pour se venger d'un officier, un agent commercial avait altéré les faits, et avait inventé de toutes pièces l'affreux drame.  L'enquête qui fut faite sur place d'après les ordres de l'autorité, dès que les accusations parurent dans les journaux étrangers, révéla non seulement la vérité mais l'accusateur reconnut le caractère calomnieux de ses assertions.

Suivirent une suite de calomnies vagues, concernant des faits dont on ne désignait ni les auteurs, ni les endroits où ils se seraient produits, et qui constamment étaient présentées comme choses nouvelles.

C'est en vain que le gouvernement demandait des précisions, afin de recherche les coupables.  Bientôt on aggrava les accusations et on y mêla des histoires de mains coupées.  C'est le célèbre Morel, qui fut le porte-parole de ce nouveau genre d'attaques, toujours prudemment lancées, sans désignation des coupables.  Plus tard, la Commission d'enquête du Congo, dont  nous aurons à parler, fit justice de cette affreuse calomnie.

C'est principalement de 1892 à 1902 qu'on vit reparaître, toujours avec le même effet, le thème des atrocités congolaises.  Un des plus actifs parmi les prétendus champions du droit et de la justice fut un nommé Salusbury, ancien agent de l'Etat qui échoua finalement dans un ''workhouse''.


Vint ensuite le tour de son collègue Burrows.  Celui-ci avait élaboré une véritable revue de tous ces faits, depuis la première calomnie colportée par Parminter, jusqu'à la dernière en date.

Ce nouveau défenseur de la race noire opprimée et martyrisée par les Belges, pour en finir définitivement avec ceux-ci, chercha à donner à ses récits un caractère d'authenticité indiscutable en identifiant les auteurs des méfaits.


C'est l'occasion qu'attendait depuis longtemps le gouvernement pour intervenir.

La justice anglaise elle-même fut choisie pour éclairer enfin l'opinion publique sur le sens vrai de toutes ces allégations et sur la valeur morale des agitateurs.  L'histoire de ce procès est fort suggestive; il ne sera pas sans intérêt d'en faire connaître quelques détails choisis parmi les plus caractéristiques.


Burrows se servit d'un intermédiaire, l'éditeur Everett, de Londres, pour entrer en rapport avec moi.  L'opinion publique était très montée contre le Congo et le moment semblait propice aux calomniateurs pour porter le coup décisif.  Mais il s'agissait en ordre principal d'obtenir de l'une ou de l'autre façon la grosse somme, soit par la vente du fameux pamphlet , soit que le gouvernement du Congo achetât le silence des auteurs.

On fit d'abord tant en Angleterre qu'en Amérique, une large publicité autour d'un livre qui allait paraître prochainement sur l'histoire des atrocités belges au Congo.  Rien que cette nouvelle mit les esprits en effervescence.  Les échos de cette propagande nous étaient parvenus, mais j'ignorais que j'allais bientôt y être mêlé personnellement et de façon très directe.   Le titre du livre était évocateur : The Curse of Central Africa (La damnation de l'Afrique centrale). 


Je reçus donc un beau jour une lettre de l'éditeur Everett m'envoyant quelques pages d'un livre qu'il allait publier, disait-il, pour le compte du capitaine Burrows et émettant l'avis que la chose était de nature à m'intéresser.  Voici le texte de cette lettre :

           
''Londres, le 14 novembre 1902

Monsieur le Secrétaire général

           
Nous avons conclu récemment un contrat avec le capitaine Guy Burrows, bien connu du public anglais comme ayant été plusieurs années au service de l'E.I.C.; ce contrat vise la publication d'un important ouvrage sur l'EIC.  Les renseignements contenus dans le livre sont de nature à faire bondir, et contiennent tant de révélations concernant l'administration de l'EIC de Belgique, que nous avons cru bien faire de vous prévenir de sa publication, et en même temps de vous demander si nous pouvons avoir l'honneur de vous offrir les droits de publication en Belgique.  Nous prenons des mesures pour publier l'ouvrage en même temps en France, en Suède, en Norvège et aux Etats-Unis.  Inutile de dire que le livre sera d'un joli aspect, et illustré d'un grand nombre de belles et rares photographies prises sur les lieux par l'auteur et d'autres personnes.  Si vous désirez profiter de cette offre, nous vous serions obligés de nous le faire savoir le plus tôt possible.                      (signé)   Everett ''

Et le 27, le même Everett écrivit à l'éditeur de l'Indépendance belge :


''Monsieur,  
Nous vous envoyons sous ce pli, une analyse d'un ouvrage intéressant que nous allons éditer, et nous espérons que vous pourrez disposer de la place nécessaire pour la publier dans votre colonne littéraire.  Si vous aviez ici un agent, nous pourrions peut-être lui dire quelques-unes des révélations extraordinaires que contiendra ce livre, et que nous ne pouvons confier au papier.  Everett''

Antérieurement déjà, Burrows, de manière assez énigmatique, m'avait écrit :

''Cher Monsieur Liebrechts,  Je vous serais très reconnaissant si vous vouliez bien me dire si l'Etat désire m'occuper de nouveau.  Dans l'affirmative, veuillez me faire connaître les conditions; Monsieur Canisius est ici; il dit qu'il est occupé à écrire un livre sur le Congo.    Burrows''


Au procès il fut reconnu que Canisius n'était pas même à Londres à cette époque.  On se prévalait aussi faussement d'une dédicace attribuée à Sir Charles Dilke.  Il serait absolument superflu d'imposer au lecteur une plus longue série de documents se rattachant à ce procès…


Je répondis par retour du courrier à Everett que sa lettre était d'allure trop vague pour me permettre d'en saisir la portée.  Et sur cette réponse, nos gens brûlèrent les étapes et m'engagèrent à me rendre à Londres où on me donnerait les renseignements désirables; ils profitèrent de l'occasion pour me transmettre une photographie représentant une scène horrible, jointe à un feuillet portant les noms de tous les agents de l'Etat incriminés.  Cette fois, nous tenions les noms de ceux mis en cause, ce qui allait nous permettre d'agir énergiquement.


Je mis aussitôt le Roi au courant de ce qui se tramait, et j'émis l'avis qu'il fallait prendre position, que l'annonce seule de cette publication causait un certain émoi et, qu'à Bruxelles aussi, certains initiés étaient informés de ce qui se préparait.  Je me rendais parfaitement compte que c'était une grosse partie à entamer mais je considérais qu'il était indispensable de l'entreprendre pour en finir une bonne fois avec tous ces infâmes racontars qui, malgré leur invraisemblance, auraient fini par faire sombrer l'œuvre.  Le Roi se montra partisan de l'action; il me recommanda d'être prudent et de me faire seconder par le sénateur Sam Wiener, qui à un talent reconnu joignait l'avantage d'être au courant des choses de la justice anglaise et des milieux anglais.


Le premier acte fut de télégraphier à Londres, en réponse à l'invitation que j'avais reçue de m'y rendre, que j'étais empêché d'y aller, mais qu'un de mes amis qui s'y trouvait précisément agirait en mon nom.  Et M. l'avocat Bigwood, de Bruxelles, partit immédiatement pour l'Angleterre pour figurer cet ami.


A la réception de mon télégramme à Londres, se place l'incident qui eut, sur l'issue du procès, l'influence la plus décisive et qui caractérise la mentalité de nos adversaires.  Persuadés que nous allions passer par leurs exigences, les auteurs de la machination diabolique, s'assemblèrent et remplacèrent la convention réglant le partage des gains que devait leur procurer leur belle besogne par une convention nouvelle, inspirée par l'importance des sommes que nous verserions pour arrêter leur hideux chantage.  Comme l'un des personnages, l'auteur de l'introduction du livre, un nommé Canisius, ancien agent de l'Etat, ne se trouvait pas à Londres, étant momentanément parti pour l'étranger, ils eurent la machiavélique idée de l'exclure du partage des bénéfices.  Le père de Canisius, quand il apprit le procédé employé, livra à nos sollicitors le texte de la première convention entre parties.  C'était évidemment un document important, essentiel pour établir la valeur morale des associés et leurs buts hautement humanitaires!


Mais, revenons-en au voyage de M. l'avocat Bigwood, à Londres.  Il y fut reçu par Everett et Burrows, dont l'attitude étrange et énigmatique lui fit la plus mauvaise impression.  Ils remirent à nos envoyé quelques pages supplémentaires contenant des calomnies nouvelles.  Notre avocat nous les rapporta à Bruxelles avec l'impression personnelle que nous nous trouvions en présence de véritables maîtres chanteurs.

Bientôt je partis moi-même pour Londres avec le sénateur Wiener, pour prier le célèbre avocat Sir Edouard Clarcke de vouloir se charger de la défense de l'honneur des officiers belges si indignement calomniés.

Sir Edouard présenta d'abord quelques objections et chercha à nous dissuader d'entamer des poursuites devant les tribunaux anglais, disant qu'il serait fort difficile d'aboutir.  Je réplique que si des officiers anglais étaient calomniés en Belgique par des officiers belges, ceux-ci seraient les premiers à réclamer que justice leur fût rendue, et qu'il n'était pas possible d'imaginer qu'en la circonstance, la loyauté proverbiale de l'Angleterre devînt un vain mot.   Il faut croire que l'argument porta car Sir Edouard me fit un signe bref indiquant de lui remettre le dossier que je tenais à la main.  Les pièces étaient classées de façon à impressionner, si bien qu'à la lecture du premier document l'avocat s'écria : ''Mais c'est du chantage!"  Et il ajouta immédiatement : ''J'aviserai aux mesures à prendre, seulement, je tiens à vous dire tout de suite que la loi anglaise étant extraordinairement sévère en ce qui concerne le chantage, il serait difficile d'obtenir une condamnation dans le cas présent, mais il en serait tout autrement s'il s'agissait d'une action en calomnie.

L'avocat Wiener, après avoir demandé mon impression, déclara que nous nous en rapportions à l'avis de Sir Edouard.  Et dès ce moment, commença une procédure qui eut un énorme retentissement, plus grand en Angleterre qu'en Belgique, procédure qui dura à peu près deux ans.  Tout d'abord, nos défenseurs obtinrent une décision de la justice interdisant la publication, l'exposition et la vente du livre.  Ce fut un premier et énorme résultat de nature aussi à empêcher la retentissante réclame qui se faisait autour de l'apparition de cet ouvrage qui devait porter le coup décisif à l'œuvre entreprise par les Belges en Afrique.  Aussitôt le silence ce fit et les attaques cessèrent.  Les deux parties se préparèrent activement à affronter la barre.  Les enquêtes furent menées en Belgique par nos défenseurs, qui vinrent questionner les témoins et les personnes mises en cause par Burrows.  De son côté, celui-ci recherchait également des témoins.  Pour se les concilier, il promettait des récompenses généreuses, mais payables après la fin du procès.


Enfin, après des préparatifs longs et laborieux, la cause fut appelée le 24 mars 1904 devant le juge Ridley et un jury spécial.  Les conseils des demandeurs se composaient de Sir Edouard Clarcke, Eldon Bankes et Lewis Thomas.  Les défendeurs, MM. Burrows et R.A. Everett & Cie, avaient pour conseils 4 avocats dont MM. Crispe et Germain, réputés pour leur action troublante sur les témoins appelés à comparaître dans le ''box'', comme disent les Anglais, pour la ''Cross examination''.


…       (Sir Edouard va demander à l'auteur d'aller dans le ''box'' et cite pour préciser ses idées des exemples de témoins ayant été tellement torturés par les défenseurs, qu'il avaient été démontés au point qu'ils finirent par avouer des choses manifestement contraires à la réalité''  ……


L'avocat Crispe, et son collègue Germain me firent sentir pourquoi les Anglais redoutaient tant le rôle que je remplissais à l'instant. Voici :

D : Que venez-vous faire ici?
R : Demandez-le aux avocats qui m'ont prié de venir au procès pour éclairer la justice.
D.: Mais c'est votre procès, celui de l'EIC que vous venez soutenir ici.?.
R.: Je n'ai pas de procès, je suis venu parce qu'on me l'a demandé

     Ici le juge prit la parole et, se tournant vers le jury, fit observer qu'il ne s'agissait par d'un procès qui m'était personnel.

D.: A votre connaissance, s'est-il passé au Congo, beaucoup d'atrocités?
R.  Oui
D.  Lesquelles
R.  Du fait des noirs entre eux
D. Et des blancs?
R.  Oui, à ma connaissance, à deux occasions
D.  Pourriez-vous citer des noms?
R.  Oui, mais je demande à ne pas le faire
D.  Nous insistons
R.  Si vous insistez et si le juge n'y voit pas d'inconvénient, je répondrai avec précision, mais je tiens à faire observer au jury que c'est à mon corps défendant que je le ferai.

           
Cet incident donna lieu à une longue controverse entre le juge et les avocats.  Sir Edouard après l'audience me demanda la raison d'être de toute ma mise en scène.  Je lui répondis que j'avais fait traîner le débat pour gagner du temps, ajoutant que jamais je ne m'étais trouvé mieux à mon aise.  Et je lui révélai que j'avais à mettre en cause non des Belges, mais des étrangers, des Anglais.  Il me dit ''vous auriez dû le faire''…..

            (L'interrogatoire reprend)

D.  Le gouvernement belge vous a-t-il donné beaucoup d'argent pour conduire ce procès?
R.  Rien
D.  Et le Gt. du Congo, car le demandeur ne pourrait supporter de semblables frais?
R.  Le demandeur a reçu des appuis de ses amis et largement du Gt. de l'EIC.  Je considère que celui-ci aurait manqué à un devoir sacré, s'il avait laissé sans moyen de défense un officier qui l'avait brillamment et fidèlement servi, le laissant exposé injustement à la vindicte publique, par la seule raison qu'il n'avait pas les ressources nécessaires pour défendre son honneur devant la justice.

     
Ici encore, le juge fit remarquer au jury, que c'était absolument légitime.

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