NOTES sur le rapport de M. Casement, consul de S.M.Britannique, du 11 décembre 1903

Article paru dans le ''Mouvement géographique'' durant l'année 1904.

Il concerne le rapport Casement qui a été déposé mais dont le contenu n'est pas encore porté à la connaissance du public. (juin 2005)

Dactylographié par E. Janssens

''Le rapport de M. le consul Casement appelle les réserves les plus formelles.  Il est conçu dans l'esprit le moins bienveillant et ses données se basent sur les allégations d'indigènes  qui n'ont pas été vérifiées.  En ce qui concerne notamment les actes prétendus de cruauté, il est acquis dès à présent, que dans l'unique cas qui a fait l'objet d'une enquête personnelle du consul, M. Casement a été induit en erreur et qu'il a accueilli avec trop facile crédulité des affirmations d'indigènes trop intéressées et contraires à la vérité.  Il sera constaté, par les détails de cette seule affaire, à laquelle le consul a donné une importance considérable, combien la valeur de ces informations est sujette à caution.  Le gouvernement de l'Etat finira par se féliciter de la situation nouvelle qui lui est faite.  Jusqu'ici, il se trouvait en présence d'affirmations générales ou vagues qui le mettaient dans l'impossibilité de se défendre utilement, tandis qu'aujourd'hui, il va pouvoir saisir corps à corps les accusations précises dont il est l'objet.

Nous attendons sa riposte avec confiance.  Nous sommes convaincus qu'elle se produira sans délai et qu'elle sera absolument décisive.  Le bon renom de la Belgique est engagé dans le débat.

Le rapport Casement a été remis au Secrétaire général du Département Affaires étrangères de l'E.I.C.  Le 11 février 1904, il a été transmis par le Marquis de Lansdowne à Sir C. Philipps.  Le lendemain, le Secrétaire d'Etat des Affaires étrangères de Grande Bretagne l'a fait parvenir à ses agents diplomatiques à Paris, Vienne, Berlin, St. Petersbourg, Rome, Madrid, Constantinople, Bruxelles, La Haye, Copenhague et Stockholm.  Toutes les puissances de l'Acte de Berlin sont en possession du document.

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NOTES sur le rapport de M. Casement, consul de S.M.Britannique, du 11 décembre 1903

(source : ''Mouvement géographique'' 1904, pp135-143)

Le gouvernement de l'Etat Indépendant publie les notes ci-après, une première réponse au rapport de M. Casement, consul de Sa Majesté Britannique.

''A la séance de la Chambre des Communes du 11 mars 1903, lord Cranborne avait dit : ''Nous n'avons aucune raison de croire que l'esclavage soit reconnu par les autorités de l'E.I.C., mais des rapports d'actes de cruauté et d'oppression nous sont parvenus.  Semblables rapports ont été transmis par nos agents consulaires''.

Le gouvernement de l'Etat du Congo demanda, par lettre du 14 mars 1903, à S.E. Sir Philipps, de bien vouloir lui communiquer les faits qui avaient été l'objet de rapports de la part des consuls britanniques.  Cette demande ne reçu pas de suite.

La dépêche de Lord Lansdowne du 8 août 1903 portait :

''Des représentations à cet effet (cas allégués de mauvais traitements d'indigènes et d'existence de monopoles commerciaux) se trouvent … dans des dépêches de consuls de Sa Majesté''.  L'impression était ainsi créée qu'à cette date le gouvernement de Sa Majesté se trouvait en possession de renseignements consulaires concluants : la nécessité d'un voyage de M. le consul Casement dans le haut Congo n'en a pas moins paru évidente.  La réflexion s'ensuit que les conclusions de la note du 8 août étaient au moins prématurées; il s'en déduit également que, contrairement à l'appréciation de cette note, il a été loisible au consul britannique d'entreprendre dans les régions intérieures tel voyage qui lui convenait.  Il est à noter en tout cas que le White Paper (Africa n°1, 1904), qui vient d'être présenté au Parlement, ne contient pas, nonobstant le désir qu'en a réitéré l'Etat du Congo, ces rapports consulaires antérieurs, qui, cependant, offraient d'autant plus d'intérêt qu'ils dataient d'un temps où la campagne présente n'était pas née.

Le rapport actuel signale qu'en certains points visités par le consul, la population se trouve en décroissance.  M. Casement n'indique pas les bases de ses recensements comparatifs en 1887 et en 1903.  Il est à se demander comment pour cette dernière année le consul a pu établir ses chiffres au cours de visites rapides et hâtives.  Sur quels éléments certains s'appuye-t-il, par exemple, pour dire que la population des localités riveraines du lac Mantumba semble avoir diminue dans les dix dernières années de 60 à 70 % ?  En un point désigné F*, il déclare que l'ensemble des villages ne compte pas aujourd'hui plus de cinq cents âmes; quelques lignes plus loin, ces mêmes villages ne comportent plus que deux cent quarante habitants en tout.  Ce ne sont là que des détails, mais ils caractérisent immédiatement le défaut de précision de certaines appréciations du consul.  Au reste, il n'est malheureusement que trop exacte que la diminution de la population a été constatée;  elle est due à d'autres causes qu'à un régime excessif ou oppressif exercé par l'administration sur les populations indigènes.  C'est en premier lieu la maladie du sommeil qui décime partout les populations en Afrique équatoriale.  Le rapport remarque lui-même que : ''il place au premier rang cette maladie (1) (v.rapport p.21)" et que cette maladie est ''probablement l'un des principaux facteurs'' de la diminution de la population (2) (v.rapport, p.26).  Il suffit de lire la lettre du Rev. John Whitehead, citée par le consul, pour se rendre compte des ravages de la maladie, à laquelle ce missionnaire attribue la moitié des décès dans la région riveraine du district.  Dans une interview récente, Mgr Van Ronslé, vicaire apostolique du Congo belge, avec l'autorité qui s'attache à une grande expérience des choses d'Afrique et à des séjours prolongés en de multiples résidences au Congo, a montré l'évolution du fléau, le dépérissement fatal des populations qui en sont frappées, quelles que soient d'ailleurs les conditions de leur état social, citant entre autres les pertes effrayantes de vies dues à ce mal dans l'Uganda.  Que si l'on ajoute à cette cause fondamentale de la dépopulation au Congo les épidémies de petite vérole, l'impossibilité actuelle pour les tribus de maintenir leur chiffre par des achats d'esclaves, la facilité de déplacement des indigènes, il s'explique que le consul et les missionnaires aient relevé la diminution du nombre d'habitants de certaines agglomérations, sans que nécessairement ce soit le résultat d'un système d'oppression.  L'annexe n°I reproduit les déclarations sur ce point de Mgr Van Ronslé.  Ce qu'il dit des conséquences sur le chiffre numérique de la population, de la suppression de l'esclavage, se trouve reproduit ailleurs.

Les noirs (esclaves) sont pour la plus grande partie d'anciens prisonniers de guerre.  Depuis le décret d'émancipation, ils sont simplement retournée au loin dans leur village d'origine, sachant que leurs propriétaires n'ont pas le pouvoir des capturer à nouveau.  C'est une raison pour laquelle quelques-uns pensent que la population est en décroissance, et une autre raison est l'exode considérable en amont et en aval de la rivière (1) (M.Boudot, missionnaire de la Congo Batolo Mission, Regions Beyont, December 1901, p.137).  Aussi longtemps que la traite des esclaves était florissante, les Bobangi étaient prospères, mais depuis l'abolition de la traite, ils tendent à disparaître, car leurs villages étaient pleins d'esclaves. (2) (W.H.Bentley, Pioneering on the Congo, t.II,p.229)

Le consul cite des cas, dont du reste les raisons lui sont inconnues, d'exode d'indigènes du Congo sur la rive française.  On ne voit pas à quel titre il en ferait grief à l'Etat, si l'on en juge d'après les motifs qui ont déterminé certains d'entre eux, à preuve les exemples de ces émigrations, donnés et expliqués par un missionnaire anglais, le R.P.W.H. Bentley.  L'un est relatif à la station de Lukolela.

La grande difficulté a été l'instabilité de la population.  Il parait que la population, dans la station fut fondée en 1886, était de 5.000 à 6.000 âmes dans des agglomérations riveraines.  Environ deux ans après, le chef Mpuki, à la suite de dissentiments avec ses voisins, arrivés à un degré de tension aiguë, traversa la rivière avec ses gens et s'établit vis-à-vis sur la rive française.  Cet exode enleva un grand nombre de noirs.  En 1890 ou 1891, un chef d'un des villages d'aval fut obligé par la majorité de ses gens de quitter la rive congolaise, et plusieurs partirent avec lui.  Vers 1893, le reste des gens des villages d'aval s'installa dans le même endroit que le chef déposé, ou se dispersèrent dans l'intérieur.  Vers la fin de 1894, un soldat qui avait été envoyé couper du vois de chauffe pour les steamers de l'Etat dans une île ne dépendant pas des villages, quitta son ouvrage pour faire une réquisition injuste dans un des villages.  Il tua l'homme qui lui refusait.  Ce coquin de soldat fut traité comme il le méritait par l'officier de l'Etat du ressort, mais ce crime, joint à d'autres difficultés moindres, produisit une panique, et presque tous les noirs partirent pour la rive française ou pour l'intérieur.  Ainsi prit fin cette belle agglomération (3)(Ibid., t.II,p.243).

L'autre cas a trait à la station de Bolobo.

Il est rare, en effet, qu'à Bolobo, avec 30.000 ou 40.000 noirs divisés en une douzaine de tribus, la paix règne pendant un certain temps.  Les pertes de vies dans ces petites guerres, le nombre de ceux qui sont victimes du fétichisme et de ceux qui sont enterrés vifs avec les morts aboutit, même dans nos limites étroites, à Bolobo, à un drainage presque journalier de la vitalité du pays et à une somme incalculable de douleurs et de souffrances…  Le gouvernement n'est pas resté indifférent à ces coutumes meurtrières…  En 1890, le commissaire du district rassemblé les noirs et les prémunit contre l'usage d'enterrer les des esclaves vivants dans les tombes des hommes libres, et contre les meurtres irréfléchis qui en sont la conséquence.  Les indigènes n'aiment pas le pouvoir naissant de l'Etat…  Notre propre établissement parmi eux ne s'est pas fait sans difficulté…  Il y avait de la prévention contre les blancs en général et spécialement contre l'Etat.  Les noirs devenaient insolents et arrogants…   C'est précisément à cette époque… qu'un détachement de soldats passant en steamer devant les villages de Moye fut assailli à coups de fusil.  Les soldats atterrirent, brûlèrent et pillèrent le village.  Les indigènes s'enfuirent dans la brousse et un grand nombre passa par la rive française.  Ils acquirent ainsi la notion que Bula Matadi (sic) n'était pas l'être impuissant qu'ils s'étaient figuré si longtemps.  Ceci se passa au commencement de 1891 (4) (Ibid., t.II, p.234-236)

Ces exemples donnent, comme on le voit, à l'émigration des indigènes des causes n'ayant aucun rapport avec :

Les méthodes employées par les agents locaux pour obtenir leur travail et les exactions dont ils sont l'objet.

Le rapport s'étend longuement sur l'existence des impôts indigènes.  Il constate que les indigènes sont astreints à des prestations de travail de diverses sortes, ici sous forme de fournitures de ''chikwangues'' ou de vivres frais pour les postes gouvernementaux, là sous forme de participation à des travaux d'utilité publique, tels que la construction d'une jetée à Bololo, ou l'entretien de la ligne télégraphique à F*…; ailleurs sous la forme de la récolte des produits domaniaux.  Nous maintenons la légitimité de ces impôts sur les populations natives, d'accord en cela avec le gouvernement de Sa Majesté, qui, dans le mémorandum du 11 février 1904, déclare que l'industrie et le développement des colonies et protectorats britanniques en Afrique montrent que le gouvernement de Sa Majesté a toujours admis la nécessité de faire contribuer les natifs aux charges publiques et de les amener au travail.  Nous sommes d'accord également avec le gouvernement de Sa Majesté que si en cette matière des abus se commettent, comme, il est vrai, il s'en produit en toutes colonies, ces abus appellent des réformes, et qu'il est du devoir de l'autorité supérieure d'y mettre fin et de concilier, dans une juste mesure les nécessités gouvernementales avec les intérêts bien entendus des indigènes.

     Mais, l'Etat du Congo entend à cet égard se mouvoir librement dans l'exercice de souveraineté, - comme par exemple, le gouvernement britannique explique dans son dernier mémorandum l'avoir fait à Sierra Leone, - en dehors de toute pression extérieure ou de toute ingérence étrangères, qui seraient attentatoires à ses droits essentiels.

Le rapport du consul vise manifestement à créer l'impression que la perception de l'impôt, au Congo, est violente, inhumaine et cruelle, et nous voulons, avant tout, rencontrer l'accusation si souvent dirigée contre l'Etat, que cette perception donnerait lieu à d'odieux actes de mutilation.  A cet égard, la lecture superficielle du rapport est de nature à impressionner, par l'accumulation complaisante, non pas de faits nets, précis, vérifiés, mais de déclarations et d'affirmations des indigènes.

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