Les souvenirs de Symphorien Semvua Sikyala

30 Juin 1960
© Les souvenirs de
SYMPHORIEN SEMVUA SIKYALA


Mon premier contact avec Albertville a eu lieu au port d’Albertville. C’était un beau matin en 1952, je venais de débarquer d’un bateau de la CFL au port, à l’ancien port, venant de Kalundu où je venais de faire escale du moins en transit de Bukavu pour le centre extra coutumier d’Albertville. Mon père venait de m’expédier chez son géniteur comme  il était de coutume à cette époque.  Bien des parents conseillaient à leurs enfants mariés de leur envoyer leur progéniture afin de leur éviter les vicissitudes de trimballer les enfants lors des éventuelles mutations. Hélas ces discutables et troublantes pratiques sont toujours faites de nos jours dans bien des sociétés africaines, tous pays confondus. Les grands-parents tenaient à dispenser à leurs grand enfants une éducation similaire a celles qu’ont eue leurs enfants. Moi j’ai été relégué chez mon grand-père pour y être dressé, disons comme ça. Mon père était un ancien commis de la MGL, une société minière opérant au Kivu, et il travaillait le jour de mon départ à la Sedec-Bukavu comme commis administratif. Il avait quitte son Katanga natal à la recherche de travail vers le nord dans les années 40, et il avait ainsi été aux mines d’or de Kilomoto. Il m’a trimballé partout là-bas quand j’étais tout enfant. Il a fini pas échouer à Bukavu. Oui, il y avait trouvé du travail.  Avec les autres originaires d’Albertville, il avait monté une équipe de football qui avait à maintes occasions donné du fil à retordre aux autres équipes évoluant au sein de l'association locale de football.


Je suis né à Bukavu au mois de mars 1947. Mon grand-père était un pensionné moniteur catéchiste des écoles catholiques. A mon arrivée chez lui, il avait déjà pris sa retraite depuis bien longtemps. Mes grands-parents paternels s’étaient installés à Albertville très tôt, juste après l’année 1900; leur fille aînée y était née en 1910. Enfin me voila débarqué chez mon très cher grand-père tout vieillissant. Mon grand-père était un fervent fidèle et assistait tous les jours à la messe de 6HOO.  Bien qu’il était pensionné, il jouissait de l’estime des prêtres de la Paroisse Christ-Roi, la grande Eglise où l’on célébrait les Te Deum. Nous habitions juste de l’autre versant de la colline où se trouvait la grande résidence des prêtres. Notre domicile était une maison en briques séchées au soleil, et couverte de pailles. La plupart des maisons à la cité avaient des caractéristiques semblables. Très tôt, mon grand-père m’initia à servir la messe comme enfant de chœur. Bien sûr, c’était une corvée qui n’avait pas seulement des désavantages, comme se lever très tôt, mais elle regorgeait de bien de petites accommodations bienfaisantes. Ainsi grâce à mon statut d’enfant de chœur, je pouvais au moins une fois par semaine être transporté dans la voiture du prêtre - ce qui constitue un vrai luxe pour nous les jeunes des cités africaines - et aller servir hors de notre paroisse à Saints Victor et Albert. Et mieux, assister aux différentes manifestations des Bazungu, voir ce qui s’y passait sans toutefois y participer pleinement évidemment. Mieux encore, de rentrer à la maison avec des barres de chocolats reçues à ces manifestations et de frimer avec devant les amis.


J’ai été ainsi très tôt inscrit à l’école primaire alors que j’avais cinq années. A cette époque, les mamans  de  la cité remettaient à leur enfants aînés leurs petits frères pour aller avec l’école alors qu’elles s’évertuaient à une autre activité où elles jugeaient la présence de leurs petits fort encombrante; ainsi elles pouvaient aller faire la lessive directement a la plage du lac. Ainsi, on voyait des petits frères non inscrits à l’école s’asseoir sur les bancs de l’école juste à côté de leurs grands frères. Le maître tolérait ces frauduleuses irrégularités, sinon je présume qu’ils étaient complices irresponsables. Ainsi j’ai été un jour emmené moi aussi par mon grand frère à l’école en classe de première année. Bien que non inscrit, je suivais attentivement les cours, je répondais correctement aux questions. Mieux, le maître m'envoyait souvent au tableau noir. Mes prouesses d’élève non inscrit créeraient la sympathie  des maîtres, et l'admiration du directeur de l’école qui était le Père François VAN GILS qui illico accepta de m’inscrire alors que je n’avais pas les six ans révolus. Et c’était parti pour moi.


Mais quelque temps après ma scolarisation, un événement fort tragique venait de changer ma vie à jamais. Mon père qui était toujours à Bukavu succomba à la suite d’une encéphalite malarienne. Je me souviens encore comme si c'était hier comment j’avais reçu cette brutale et dramatique nouvelle. En effet, j’étais en train de jouer au football avec mes amis quand j’ai vu mon grand-père pleurer à gros flots et se jeter à terre, rivalisant avec ma grand-mère. Je n’avais jamais vu cette scène et j’en avais déduit que s’il pleurait comme ça, c’est qu’il y avait quelqu’un qui l’avait battu et qui lui avait fait si horriblement mal au point de l’humilier jusqu'à pleurer devant nous, ses petits-enfants. Vite, j’ai couru à la maison pour voir celui qui a fait un acte d’une monstruosité inacceptable. J’ai même posé la question de savoir qui avait tabassé mon grand-père. Mais les aînés ont vite compris que je ne comprenais rien de ce qui m’était arrivé et l’on m’achemina chez une tante loin du lieu du deuil, réservé aux seuls adultes. Quelques semaines après, j’ai vu ma propre mère arriver au même port ou j’avais débarqué quelques mois avant. Elle tomba en sanglots quand elle me vît. Elle essaya de me porter sur le dos. Mais moi j’avais fui car j’estimais que j’étais devenu grand et que je n’étais plus un bébé.


Soit, quelques mois après la levée du deuil, ma mère fut libérée par la famille de mon père : elle était devenue libre de refaire sa vie. Elle n’hésita pas à aller vivre à Elisabethville. Actuellement elle vit toujours là-bas.


Mes résultats scolaires étaient très bons. Ainsi, j’avais gravi les classes sans problèmes.  

Arrivé en quatrième primaire, le Père Van Gils me sélectionna pour être en classe de quatrième sélectionnée, c'est-à-dire pour apprendre le français et peut-être servir un jour comme agent de la colonie. L'école moyenne était le terminus pour tous ceux qui entraient dans cette section et elle était juste adjacente à notre école primaire. Dans cette école moyenne dirigée par les Frères d’Oostakker, l’instruction était basée sur la dactylographie, la sténographie, la correspondance commerciale, le comptabilité, bref tout ce dont la colonie avait besoin pour le fonctionnement de ses rouages. Je conciliais facilement mes taches d’élève, d’enfant de chœur et même de louveteau.


Oui, j’ai été louveteau d’abord, scout ensuite à la troupe des scouts catholiques affiliée à notre paroisse Christ-Roi située entre le quartier Kindu et Kabalo. Avec les scouts, je m’étais réellement épanoui. J’aimais bien cette association de jeunes de tout bord aux origines diverses. Nous étions habillé en uniformes mais pieds nus. Toutes les fois que nous traversions les avenues de quartiers européens, nous chantions des chansons populaires belges. Pour cela, nous étions récompensés par des applaudissements des différents groupes que nous rencontrions sur les nombreuses terrasses de la ville, au ciné Palace, au ciné Rac, à la terrasse Marius et même des simples résidents qui ouvraient leurs portes pour nous ovationner.

Lors des festivités commémorant la fête nationale belge, nous étions toujours dans la parade sur les artères principales de la ville, de même que sur la principale avenue qui traversait la cité africaine. Au stade Baudouin, nous avions toujours une place de choix qui nous permettait de bien voir le déroulement de toutes ces grandioses festivités. Pour nous, elles étaient grandioses : voir les para-commandos belges de très près et admirer leurs bérets rouges.


Albertville, dès les années 50, a connu un développement intensif surtout à partir de 1955. Que de travaux de génie civil! Je me souviens encore de l’entrepreneur « VERTICHIO ». Des entreprises métallurgiques, des garages, des hôtels, un nouvel édifice pour la direction de la CFL, nouveau port, Supermarché Rodina, Sedec, Sarma, écoles laïques. Athénée, électrification par la construction du barrage sur la rivière Kyimbi, des nouvelles cités des travailleurs de la CFL à Kaseke, une ligne de train de banlieue pour les travailleurs et les résidents de Kaseke, etc. Tout cela vit le jour.  Et je me souviens encore de ces remorques chargées qui traversaient le pont de la Lukuga en route pour Bendera (Kyimbi) où des vaillants fils et filles belges avec l’aide des ouvriers congolais érigeaient un barrage. Nous, nous les attendions juste en face de notre église à la sortie de l’école et nous demandions aux chauffeurs de faire ce que nous nous appelions « kupiga tatu na rungo » c'est-à-dire  arrêter brusquement le moteur et faire une grosse pétarade et nous, nous applaudissions et lancions des cris de joie. Plaisirs d’enfants ! Je revois encore certains de ces chauffeurs, Joseph Rodriguez dont la famille résidait près du domicile Nissim sur l'avenue Storms.


Pour nous les africains, nous avons connu des avancées très appréciables aussi. A mon humble avis, le plus important était que nous étions médicalisés à l’école. Des équipes de médecins et des assistants médicaux venaient dans nos écoles dans des véhicules médicalisés avec radiologie et laboratoires ; ils nous visitaient régulièrement. Des agents sanitaires passent de parcelle en parcelle pour y épandre des produits chimiques et des désinfectants, nous avions des séances de dépistage des maladies endémiques comme la tuberculose, la maladie du sommeil. Des amendes étaient octroyées à tous ceux qui ne respectaient pas les règles d’hygiène et les bonnes mœurs. Je me souviens avoir vu la dans la cour de notre école primaire un certain WENDO, une des grandes vedettes de la musique congolaise de l’époque, emmené par les promoteurs grecs de la société Loningisa de Léopoldville. Une foule immense était venue l’auditionner à leur entière satisfaction. Des divertissements de tous genres étaient initiés aussi bien par le privé que par le public. Chaque semaine, il y avait une séance de cinéma à la CFL près de l’hôpital du personnel africain, une autre dans la cour des installations administratives du centre extra-coutumier d'Albertville. Enfin dans la cour de l’économat des prêtres, tous les mercredis, il y avait une projection cinématographique. Et toutes ces projections de film étaient précédées des séquences des actualités du Congo, de la Belgique, et du monde. Ainsi je me souviens avoir  vu un film qui nous a fait pleurer dans cette salle des prêtres : "J’AVAIS CINQ FILS", un dramatique américain, et un autre film dont l’acteur principal n’était autre que Sidney Poitiers. C’était merveilleux. Bien sûr cela se passait à l’insu de bien des européens qui à tort ou à raison ne s’aventuraient au-delà du versant des collines où ils habitaient. Sauf un seul qui s’appelait Monsieur CARPENTIEZ, profession commissaire de police. Lui, il nous a sauvés. Il avait réussi à éradiquer à jamais les différentes bandes des voyous, voleurs et apprentis gangsters qui prenaient toute une cité en otage, intimidant qui ils voulaient, imposant leur diktat à toute la communauté. Toute la cité ne jurait que par son nom de CARPENTIEZ. Je me souviens de sa camionnette rouge. Il était professionnel, et très rusé. Il n’hésitait en aucune occasion à venir lui-même cueillir ces indésirables à la cité. Il n’avait jamais hésité ni à les envoyer devant le tribunal de la police ou le juge, ni à les coffrer en prison. Ces bandes terrorisaient les paisibles familles à la cité, qui avaient peur de se mouvoir librement. Après cette extirpation, les gens pouvaient aller la nuit au cinéma avec quiétude.


En 1957, notre unité de scouts était partie dans un camp de scouts comme nous en faisions chaque année, à l’époque j’étais louveteau. Notre aumônier le Père Gérard « MEER », de concert avec les autres chefs scouts, avait choisi pour nous d’aller camper a RUTUKU, c'est-à-dire prendre la route de la cite Kamkolobondo dépasser la bifurcation de la route qui allait à la concession de Mr HOLLAND à sa droite, continuer tout droit, dépasser le Camp Jacques et après trois bonnes heures, déboucher sur une bourgade avec comme maison principale, une résidence de passage en briques cuites et c’était là notre destination. Nous avions une belle vue sur le lac qui s’étendait à perte de vue mais le littoral à cette place était parsemé par de nombreux marécages. J’étais tout heureux d’être de la partie, loin de mon très cher grand-père. Le père Gérard nous suivait derrière avec sa moto. Comme nous n’avions pas l’autorisation de l’administrateur du territoire pour habiter dans les annexes de cette maison de passage, le responsable local nous autorisa à passer la nuit dans les classes de leur école du village. Seulement, ces classes n’avaient pas de fenêtres. Dès la tombée de la journée, des escadrilles meurtrières bien organisées de moustiques venaient par plusieurs vagues nous attaquer. Le premier jour, nous n’avions aucun moyen de défense, nous étions fatigués par le voyage. Le lendemain, nous avions pris la précaution d’allumer un grand feu toute la nuit afin de repousser les assaillants. Tous les matins, nous étions soumis aux diverses occupations bien programmées par nos chefs. Les villageois nous ont avertis d’être prudents sur la plage car il y avait parfois des crocodiles qui visitaient ces rivages.


Après une semaine, j’ai eu de la fièvre, le lendemain, j’avais de la sueur et une très forte fièvre, je commençai à perdre mes forces. Les chefs scouts avaient oublié d’apporter avec eux des médicaments contre la malaria .Ils pensaient qu’il y avait un dispensaire là- bas. Oui, mais il était ambulant de village en village et, à cette période-là, l’infirmier était parti vers des villages assez lointains. Ma santé devenait de plus en plue préoccupante, la fièvre continuait de plus belle. Je n’avais pas la force de soutenir même un transport par moto du Père Gérard; celui-ci avait un problème. Il avait tellement fait des tours dans les villages, il estimait qu’il n’avait plus assez de carburant pour arriver à Albertville et se ravitailler en  médicaments. Mes amis les scouts et louveteaux s’étaient mis à pleurer car je devenais de plus en plus faible. Le lendemain, le Père Gérard décida de tenter le tout pour le tout. Son seul salut était d’arriver chez Mr Holland et de se ravitailler en carburant et au besoin en nivaquine, ou de repartir vite à Albertville pour les prendre et rentrer urgemment à Rutuku. Il avait réussi à rejoindre la ferme de Mr Holland avant qu'il soit en panne de carburant. Mr Holland lui donna du carburant et des comprimés de Nivaquine. Il rebroussa chemin et arriva dans notre camp dans l’après-midi. Il me donna la dose adéquate comme lui avait expliqué monsieur Holland. A la surprise générale, quelques heures plus tard, la fièvre tomba, et l’on me donna du pain et du lait qu’il avait ramené de chez monsieur Holland. Le lendemain je n’avais plus de fièvre. J’ai poursuivi ma cure. J’ai vite récupéré. Et mon séjour au camp continua sans problèmes. Alors Mr Holland partit en ville, alerta les prêtres et remit la lettre du Père Gérard. Le lendemain nous avons vu arriver un autre prêtre qui avait apporté beaucoup des cures de Nivaquine. Ainsi, Monsieur Holland m’a indirectement sauvé la vie ce jour-là. D’ailleurs, après notre retour du camp, le Père Gérard me demanda de l’accompagner à la messe à Kamkolobondo. Après la messe, nous sommes partis à la ferme de Monsieur Holland pour le remercier. J'étais content que le prêtre m’ait accordé cette opportunité d’aller le remercier moi-même et de vive voix. Et cela a été fait.


En 1958, après mes études primaires, je suis allé à l’école moyenne qui avait déménagé à plusieurs kilomètres bien au-delà de la rivière Lubuye. Comme il n’y avait pas de bus pour nous emmener là-bas, nous étions contraints d’y aller tous les jours à pied. C’était un salutaire et quotidien exercice d’endurance qui nous revigorait et nous ragaillardissait. Ceux dont les parents étaient nantis y allaient a vélo.


Je me souviens que l’une de nos références à l’époque était celle de savoir si les bus qui transportaient les élèves de l’athénée étaient déjà passés ou non. Si le bus me dépassait aux environs de la rivière Lukuga, c'est que vous étiez en retard et il fallait courir pour se rattraper. Mais s'il me dépassait aux environs de Kituku-Auxeltra Béton, c'est que j’étais à temps à l’école. Nous n’avions pas de montres, pas du tout. C’est pour vous dire que c’était un vrai désastre pour nous, la construction de la nouvelle route cimentée qui allait à la Filtsaf et au nouvel aéroport en longeant le littoral. Nous n’avions plus de référence. Nous savions que KITENGE était là dans un de ces bus. Ce monsieur n’avait pas une bonne réputation parmi les jeunes noirs. Nous lui reprochions son arrogance. Il ne répondait jamais quand nous le saluions. Et bien vite, il s’en allait chez ses amis blancs. Nous, on s’en foutait. Sa position privilégiée d’être le seul noir admis à l’athénée lui donnait des complexes de supériorité envers nous. Bien sûr il avait des références solides pour être admis là-bas. Par contre, d’autres noirs et des filles étaient aussi admis au Regina Pacis. Je vous citerai sans me tromper Matilde KALUMBWA, Pelagie MAWAYA, la fille NSANIKA… Curieusement, elles étaient plus sympathiques envers nous que notre Kitenge.


Depuis 1960, nous l’avons perdu de vue et son nom n’a jamais apparu dans une quelconque position de la nomenklatura congolaise. Il s’est évanoui, nul ne sait où il se trouve. Par contre, les filles du Regina Pacis, j’ai des nouvelles d’elles. Pélagie Mawaya doit être actuellement en Belgique. Elle avait épousé un éminent juriste congolais qui a été premier ministre sous le régime Mobutu. Sa fille vit là-bas. Quant à Mathilde Kalumbwa, elle vit à Bamako au Mali. Elle avait épousé un médecin malien. Après la mort de son mari, elle vit là-bas avec ses enfants.


Donc, je suis parti chez les frères faire ma sixième et ensuite commencer l’école moyenne. Les Frères venaient de prendre possession des immenses bâtisses dans lesquelles s’installaient d’une part une école professionnelle et d’autre part une école moyenne. Bien des événements se succédèrent là à Albertville. Le plus splendide était la visite de la Reine Elisabeth de Belgique venue inaugurer la statue de son mari le Roi Albert. En cette occasion, la ville a fait peau neuve, tous les bâtiments étaient repeints. Les arbres bordant l’avenue Storms ont aussi reçu une nouvelle couche de chaux. Pour nous, les élèves des Frères, c'était le branle-bas. Tous les jours, les cours étaient arrêtés afin de nous permettre de répéter les gestes chorégraphiques du ballet en deux troupes que nous devions  présenter en cette occasion devant la Reine Elisabeth, le Gouverneur Général  de la Colonie, Mr Pétillon et les plus hautes autorités de la province. Il nous a été demandé de mémoriser la musique qui allait accompagner le spectacle chorégraphique et on nous a dit qu’un faux pas pouvait occasionner l’expulsion de l’école. Donc nous avions pris les choses au sérieux de sorte qu’après bien des répétitions, nous savions avec perfection nos mouvements. Nous étions robotisés. Tous les élèves de notre groupe scolaire étaient habillés en culotte blanche et avec des petits polos aux différentes couleurs. Notre présence était fort remarquée à l’inauguration du monument. Enfin, au stade, nous avions d’abord chanté des chansons belges, je crois, à la grande satisfaction de tous les spectateurs. Le stade et son pourtour étaient combles de monde. Jamais je n’ai vu une si forte concentration humaine à Albertville. Enfin, vint le moment de présenter notre ballet. Plus de six cents élèves tous habillés en blanc envahirent le terrain de football sous les applaudissements frénétiques de la foule en délire. Au signal, tout avait commencé, nous avions fait de notre mieux pour présenter ce spectacle sans aucun faux pas. Tout s’était déroulé exactement comme prévu. Au dernier pas, toute la foule se leva pour saluer nos exploits par des applaudissements d’intensité extrême. Nous étions tout contents et nous pleurions de joie.


Aussi cette année-là fut celle de la visite du Ministre BUISSERET au Congo. Il initia un grand changement dans notre école. Nous pouvions désormais entrer en sixième secondaire, plus en école moyenne. Pour nous, c’était le délire. Et nous nous disions que nous n’avions rien à envier aux élèves de l’Athénée, nous avions presque les mêmes cours, et que la finalité était la même pour eux que pour nous : la sanction d’un diplôme du cycle secondaire. Un autre grand événement a été le transfert provisoire de tous les trains et wagons sur une gare provisoire en face du stade. Cela devait permettre l’extension de l’écart entre les voies ferrées afin d’uniformiser les écarts. Cette conversion a été méticuleusement accomplie et quelques mois après, tous les trains avaient regagné leurs hangars et garages. Et pour la première fois, nous avons vu arriver à Albertville des locomotives qui se mouvaient différemment que celles à vapeur.

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