Album de famille

Lumière à propos d'un accident...
81 ans plus tard !

 

Christiane Cornu-Descamps, ma mère, âgée de 91 ans, me fit le récit qui suit concernant l'accident dont elle et sa famille furent victimes.

En 1926, lorsque la famille DESCAMPS-GODART arriva à Lubudi, le directeur de la CIMENKAT (Cimenterie du Katanga) était un certain M. Edgard LARIELLE, ingénieur chimiste. M. PORTE le remplaça plus tard, pendant ou après la guerre. D'autres noms lui reviennent en mémoire: M. Jean REUMONT, ingénieur, parti plus tard à Lukala, M. GILLES, M. DELHAYE, ce dernier retrouvé plus tard à la CIMENTAL, à Albertville. Elle a souvenir également que M. DELHAYE était le chef de train dans lequel LL. AA. RR. le Roi Albert Ier et la Reine Elisabeth furent accueillis à Elisabethville en juillet 1928.

Je lui parlai de Jo Mallel et lui montrai les photos de la maison Mallel, un magasin de Lubudi qu'elle reconnut immédiatement. Maman m'apprit bien des choses à propos de ce que je croyais déjà savoir au sujet de l'accident de voiture et un train de la cimenterie...



 

Elle me fit un récit de l'accident bien plus détaillé qu'elle ne l'eût jamais fait à ce jour.

L'accident eut lieu le 3 novembrebre 1928 - précision obtenue de François-Michel van der Mersch  (lire ci-après). Ma grand-mère, Sidonie Descamps-Godart, ainsi que ses deux filles, Christiane 10 ans, ma mère, et Marie-José 5 ans, s'étaient rendues au magasin MALLEL afin d'y effectuer quelques courses et s'approvisionner. Elles avaient emmené avec elles Moké afin qu'il aide à porter les paquets. Maman se souvient fort bien du magasin Mallel où l'on pouvait trouver un peu de tout, comme c'était souvent le cas au Congo, et plus particulèrement en brousse.

D'après ce que ma mère m'avait toujours raconté, m'épargnant sans doute maints détails, j'en avais déduit que mes grands-parents avaient été accidentés avec leur propre voiture. Pendant bien des années, c'est cette version qui prévalut dans mon esprit. En réalité, il n'en fut rien... Il s'avera que mes grands-parents n'eurent jamais de voiture à Lubudi. C'est alors que la nuit commençait à tomber que M. Moshe MALLEL proposa de reconduire tout ce petit monde à la maison.

Selon ses dires, la collision eut lieu avec une locomotive de la cimenterie remorquant des wagons chargés de sacs de ciment, roulant tous feux éteints, sur une voie en légère pente. Le conducteur n'eut pas le temps d'actionner le système de freinage, ou le fit trop tardivement. La collision fut inévitable. Maman et sa soeur furent éjectées hors de la voiture et se retrouvèrent sur le ballast avec de légères contusions, tandis que ma grand-mère y resta, un pied et une jambe coincés. La voiture fut traînée sur 158 mètres, tandis que le conducteur, M. Moshe MALLEL, s'en sortit quasi indemne.

Détail important: tout le monde se trouvait assis sur la banquette avant, sauf Moké qui se trouvait sur la banquette arrière, assis à côté des sacs de commissions. Pour rappel, il s'agissait d'une voiture du type conduite à droite. Se trouvaient donc côte à côte et dans l'ordre de droite à gauche: Moshe MALLEL, le conducteur, Christiane avec Marie-José assise sur ses genoux au milieu, et enfin Sidonie DESCAMPS-GODART assise à l'extême gauche de la banquette avant. Et survint le choc de plein fouet avec la locomotive venant précisément de ce côté-là.

Pour Marie-José, selon les souvenirs qu'elle en a conservés, "il y avait du sang partout dans la voiture". Toujours selon elle, "Moké aurait même perdu la vie" sur la banquette arrière. A prendre sous réserve, étant donné son très jeune âge à l'époque des faits.

Petit détail, Maman se souvient même encore avoir eu un flacon de parfum dans les mains au moment de l'accident. Celui-là même qui était destiné à être offert en cadeau à mon grand-père Charles DESCAMPS pour son anniversaire.

Inouï et émouvant que tout cela ressorte au hasard d'une rencontre sur le net... 81 ans plus tard !

Rédigé le 6/02/2010
(Mise-à-jour le 05/06/2022)
Cornu Jean-Pol


Jugement de la Cour d'Appel d'Elisabethville du 11 Octobre 1930
Le 29 novembre 2016, François-Michel van der Mersch , écrivain-historien et fils de l'avocat van der Mersch d'Elisabethville me contacta au sujet de cet accident et me fit parvenir le jugement rendu par la Cour d'Appel d'Elisabethville (RJCB - 1931 p. 26 à 28).

 


Ce fait divers aurait inspiré Hergé dans "Tintin au Congo"

François-Michel van der Mersch  :
"Comme toujours avec Hergé, que j'ai pisté longuement et de près pour mon livre "La Révolution belgique", réalité et fiction sont intimement mêlées, difficiles à séparer."

"Hergé  (initiales  de  Remi  Georges)  débutait  dans  la  bande  dessinée,  incité  en  1930  par  le quotidien  catholique  bruxellois « Le  Vingtième  Siècle » à  promener  son  reporter  Tintin  au Congo-Belge pour le supplément du mercredi « Le Petit Vingtième » réservé aux enfants. Le principe est d’un gag par page. Ne connaissant rien de la colonie belge mais précis et prompt à suivre  l’actualité,  le  dessinateur  est  informé  d’une  affaire  surréaliste  dans  laquelle  un  train conduit par un Noir avait été condamné en justice pour n’avoir pas laissé passer la voiture d’un Blanc au passage à niveau de Lubudi (Katanga).

Stupéfait par cette inversion des priorités ferroviaires, Hergé en reprend l’absurde pour amuser la Belgique d’un machiniste noir ahuri de voir son train renversé puis dépanné par la voiture du jeune reporter blanc. « C’était en 1930, expliquera Hergé à Numa Sadoul en 1975. Je ne connaissais de ce pays que ce que les gens en racontaient à l'époque : - les nègres sont de grands enfants, heureusement pour eux nous sommes là, etc. - Je les ai dessinés, ces Africains, d'après ces critères là, dans le pur esprit paternaliste qui était celui de l'époque, en Belgique.»

Le  génie  de  la  bande  dessinée  ne  s’intéressait  pas  aux  protagonistes  de  l’affaire  de  Lubudi mais au « système colonial belge ». La voiture emblématique deviendra en 1937 la couverture de « Tintin au Congo », album tiré à des millions d’exemplaires, objet en Belgique d’un timbre officiel en 2001, attrait en justice pour racisme devant la cour d’appel de Bruxelles en 2010."

 


[François-Michel van der Mersch  a également été journaliste et ancien présentateur vedette à la RTBF dans les années 70, NDLR].


(Mise-à-jour le 27/07/2020)
Cornu Jean-Pol

Détails complémentaires au sujet de l'accident



Lieu de l'accident (Lubudi) aujourd'hui