Boîte aux souvenirs

Publié le 16 mars 2005.

Chui, Baba, Evariste, Assani......ils aidaient à l'entretien de la maison, du jardin, au repassage....

Quelle joie quand Evariste arrivait à la maison, il y avait des nouvelles robes, des kapitulas  en préparation. Toujours bien mis, Evariste était uncouturier ambulant, le sourire aux lèvres, ses doigts magiques nous confectionnaient, dans des tissus africains, des tenues légères et colorées.

Baba s'occupait du jardin et des poules ; nous l'aimions de tout notre âme d'enfant. Quand il est parti là-haut, notre journée fut remplie de tristesse, un Baba au coeur tendre nous quittait.

Chui aidait maman dans les tâches ménagères, avait un faible pour la Simba, que je lui subtilisais dans  " le garde-manger " le vendredi , jour de grand nettoyage. C'était notre secret ......de polichinelle je crois, car maman devait sans doute fermer les yeux sur notre connivence à tous les deux.

Assani s'occupait aussi du jardin, c'était notre moké... Jardin merveille... bougainvillée sur la façade, goyavier, citronnier, avocatier et papayers (divin le matin de se régaler de belles papayes oranges et dodues).

Il y eut d'autres Babas... pendant ces dix années de pur bonheur... enfant blanc... adulte noir... adulte noir... enfant blanc... on s'aimait, c'est sûr. Si leur visage s'est émoussé dans ma mémoire,ils gardent une place dans mon coeur, dans ma tête... la place ensoleillée qu'Albertville a imprimée dans ma mémoire... Albertville La Belle...

Un jour Baba, Evariste et les autres, nous nous retrouverons peut-être... pourvu que cet endroit ressemble à Albertville.

@nnie

Publié le 14 mars 2005.

Midi mange toutes les ombres. C’est l’heure immobile. Dans le jardin, les fleurs mollissent et les parfums se taisent

Ils sont assis sur les marches de la barza. Ignace lui apprend à tricoter. Il l’entoure de ses bras pour guider les mains blanches. Un point à l’envers, un point à l’endroit. C’est à la mission de Sola qu’Ignace a appris à tricoter, chez les Sœurs. Les aiguilles, il les a fabriquées en extrayant la nervure d’une feuille de palmier. Noués bout à bout, au hasard des trouvailles, des morceaux de ficelle, fils de laine, fibres de raphia, rubans de satin, lanières d’étoffe, … constituent la pelote. Elle ressemble à une vie : séquence … nœud … séquence … nœud …
            - Ca y est, j’ai compris, dit Christine. C’est comme ça, hein Ignace ?
            - Ndio, muzuri ! C’est ma-gni-fi-que ! Il poursuit en chantant « Oh la la la, mais       c’est magnifique !»

Maintenant, ils reprennent ensemble, à tue- tête : « Revoir Paris - retrouver ses amis - c’est magnifi-î- queu ! ». Ils se trémoussent. Le tricot perd des mailles. Ils entonnent chansons sur chansons. C’est la folie. Tiens, justement : « Toi ma p’tite folie - toi ma p’tite folie - mon p’tit grain de fantaisi-eu … ». Ils ne s’arrêtent pas. Et celle-là, tu la connais ? Christine chante : « Etoi-leu des nei-geu - mon cœur amou-reux…..
           - Ca, c’est quoi ? l’interrompt Ignace.
           - Une chanson de ma grand’mère Denise.
           - Non. La neige, c’est quoi ?

Alors, la fillette explique. L’hiver, le froid, les flocons blancs qui dansent, … Il hausse les épaules, il rit. Ne la croit pas. Elle insiste, raconte les descentes en traîneau, les batailles de boules de neige, ... Il la regarde bien en face, il fait « wapi ! wapi ! » en secouant la tête. Elle voit sur le visage d’Ignace les mouchetures plus claires, des taches de son en négatif.
          - C’est vrai ! Mungu moya ! La preuve, j’ai des photos !
Elle se lève. Disparaît dans la maison jaune.

Elle revient. Ordonne : « Ferme les yeux Ignace ! ». Il obéit. « Donne ta main ! ». Il s’exécute. Elle prend la main noire, la retourne, y dépose une poignée du givre qu’elle a raclé sur le freezer. Il réagit violemment, il crie que ça fait mal, que ça brûle. Elle rit.


Kilis (alias Christine LERUTH)


****
La barza = désigne la terrasse couverte qui donne sur le jardin. Parfois la barza court tout autour de la maison. De barazah , mot arabe qui signifie frontière et aussi lieu de réunion.

Ndio, Muzuri ! = En kiswahili signifie : Oui, bien !

Wapi ! = expression provenant du lingala que l’on peut traduire par : Des blagues ! Raconte ça à d’autres !

Mungu moya = En kiswahili, littéralement : Un seul Dieu ! Cette expression est accompagnée du geste de se trancher la gorge et signifie : Je le jure. Ma tête à couper si je mens !

Publié le 11 mars 2005.
 

Souvenir d'enfance

J’ai dans un coin de mon cœur,
Une petite madeleine de Proust
Qui, sans crier gare, me plonge avec délice
Quelques années, en arrière, au temps de la malice.

Albertville,
Petit poste d’Afrique,
Au bord d’un lac mythique,
Et ses cocotiers,
Vigiles débonnaires, d’une avenue unique
Aux yeux de l’enfant que j’étais.
Voilà bien des indices
Qui me transportent au pays d’Alice.
Alice qui court après le temps d’avant
Qu’elle a laissé filer si distraitement…

Souvenirs d’enfance
Aux parfums épicés, aux noms exotiques,
Aux fruits généreux gorgés d’innocence.
Citrons jaunes, beaux comme des petits soleils,
Goyaves qui ont ma préférence,
Papayes au goût corsé qui éveillent
Des moments de totale insouciance.

Autre petite madeleine
Qui m’entraîne
Comme Alice au pays des merveilles
Sur la rive d’un lac d’abondance
Au nom ensorceleur à nul autre pareil

J’ai dans un coin de mon cœur,
Une petite madeleine de Proust
Qui, sans crier gare, me plonge avec délice,
Quelques années, en arrière, au temps de la malice.

Albertville,
Petit poste d’Afrique,
Au bord d’un lac mythique,
Et ses cocotiers,
Vigiles débonnaires, d’une avenue unique
Aux yeux de l’enfant que j’étais.
Voilà bien des indices
Qui m’emmène comme Alice
Au pays des merveilles.

Sous le goyavier, ami des confidences.
Premiers élans du cœur,
Premiers regards rêveurs,
Premiers baisers candeur,
Première peine de cœur,
Souvenir d’enfance.
J’ai dans le coin de mon cœur
Une petite madeleine de Proust
Qui, sans crier gare, me plonge avec délice,
Quelques années, en arrière, au temps de la malice.

Albertville,
Petit poste d’Afrique,
Au bord d’un lac mythique
Au nom ensorceleur à nul autre pareil.

C. F.

Publié le 8 mars 2005.

Le vendredi 11 mars 1955, il y a 50 ans jour pour jour, je fréquentais à Mons l'Ecole des Frères située au pied du beffroi (tour où l'on sonnait l'alarme au Moyen-Âge). Le hasard a voulu que je fasse ma première communion le matin même en l’église de Notre-Dame Débonnaire, tandis que nous nous préparions à prendre l’avion à destination de Léopoldville. En début d’après-midi, toute la famille avait pris place à bord de la petite VW de l’oncle Marcel pour effectuer le trajet jusqu’à l’aéroport. Je m’étais installé à ma place préférée, le compartiment à bagages situé juste derrière le siège arrière (pour ceux qui s’en souviennent encore).

En 1955, un DC-6 de la Sabena assurant la liaison Bruxelles - Rome - Tripoli - Léopoldville avait quitté Bruxelles le dimanche 13 février à 17 h. Il s’écrasa aux alentours de 20 h dans le massif de Terminillo, à 70 km au nord de Rome, aux environs de Rieti, dans sa manœuvre d’approche de l’aéroport de Ciampino à Rome ("Le mystère du DC-6"  publié il y a quelques années relatant cet accident). Un mois plus tard, nous prenions le même avion de 17 heures à Melsbroek. Après avoir voyagé toute la nuit, nous avons atterri à Léopoldville dans la matinée du samedi 12 mars. Nous y avons logé au guesthouse Sabena jusqu’au dimanche 13 mars, tandis que nous profitions de la journée de samedi pour aller faire un tour de la ville et revoir les endroits que nous avions fréquentés et où nous avions habité lors de notre premier terme en 1950, aux « Cent maisons », avenue de Zaïre, au lieu-dit « Plateau Léo II » situé sur un plateau surélevé dominant la ville. L'air y était frais et on pouvait entendre au loin le grondement du fleuve Congo non loin de la maison. Nous y avons eu comme voisins les Azorne, originaires de la région de Ath (Belgique), qui avaient une fille du nom de Marie-Claude, dite "Poupette".

Le dimanche 13 mars, nous avons pris un DC-3 de la Sabena à destination d'Albertville. Le voyage fut mouvementé car l'appareil dut traverser un de ces orages tropicaux qui fit penser à plus d'un que sa dernière heure était arrivée. Il y eut encore une succession de turbulences ou "trous d'air" qui chaque fois faisaient perdre à l'avion quelques dizaines de mètres voire d'avantage tandis que les éclairs illuminaient l'environnement nuageux ainsi que l'intérieur de la carlingue du vaillant DC-3, véritable bonne à tout faire des lignes intérieures de la colonie. Le voyage tumultueux trouva un intermède avec l'escale technique de Luluabourg où, installés dans la salle d’attente du guesthouse, ma soeur Martine, 5 ans, remit tout ce qu'elle avait dans l'estomac; elle qui ne supportait pas les voyages, qu'ils furent en voiture ou en avion. Je me souviens aussi avoir été jouer avec mon ballon de football dans les alentours, le temps que dure la maintenance de l'avion. Avant le départ, ma grand-mère avait eu soin de placer celui-ci dans un filet à provisions, en coton à grandes mailles, avec lequel elle avait l’habitude de faire son marché.

L’approche en vue de l’atterrissage sur l’aérodrome d’Albertville s’effectua selon la procédure habituelle, c'est-à-dire par le survol du lac pour aller chercher le début de la piste... toujours impressionnant. A l’aérodrome, nous étions attendus par monsieur Gobbaerts, collègue fin de terme de mon père, venu de Bendera et que Papa allait remplacer à la comptabilité des Forces de l’Est. Nous avons passé la nuit à Albertville afin de nous rendre le lundi matin à l'Institut Regina Pacis, établissement scolaire tenu par les Soeurs Missionnaires de N.-D. d'Afrique, juste le temps nécessaire à mon inscription, pas encore pour y demeurer, car je ne disposais pas encore du trousseau indispensable au futur pensionnaire que j'étais. C'est donc dans le courant de la journée du lundi que nous avons pris la route pour effectuer les 150 Km qui séparaient Albertville de Makungu, à 25 kilomètres au-delà de Bendera. Makungu était un petit poste minier désaffecté de la Syluma (Syndicat Minier de la Luama), société d'exploitation des mines d'or, situé à l'extrémité sud du Sud-Kivu, pratiquement à cheval sur le 5ème parallèle. Nous avons donc été logés pendant quelques mois à Makungu en attendant que se termine la construction de la maison qui nous était destinée à Bendera. Celle-ci était la première d'une série de quatre maisons situées sur la  gauche de la route d'entrée dans le poste, juste après avoir franchi la barrière desservie par un garde.

Le même jour après-midi, nous étions invités à Bendera à l'ancien mess de la société. Ce dernier étant devenu trop exigu allait très rapidement être remplacé par un nouveau bâtiment beaucoup plus spacieux. Le hasard voulut qu’un apéritif allait être offert en l’honneur du passage de monsieur Pascal Geulette, un des directeurs et administrateurs des Forces de l’Est; une personnalité particulièrement attachante, originaire de Gerpinnes. A Makungu, vivaient encore les Hausch, Brocal et Teisseyre. Il n'y avait ni eau courante, ni électricité. C'était le royaume de la touque (sorte de fût en tôle servant d'ordinaire à contenir du carburant) qui devait servir à contenir l'eau "courante" pouvant être chauffée au feu de bois. Pour l'éclairage, il y avait la lampe Coleman (lampe alimentée au pétrole et pourvue d'un "manchon" d'où jaillissait la lumière). Enfin, pour conserver les aliments, il y avait la "glacière" (réfrigérateur fonctionnant, lui aussi, au pétrole). A Makungu, seuls quelques vestiges de ce qui fut, dans les années 40, un petit poste plein d’activité, subsistaient: ce qui fut un terrain de tennis envahi par la végétation, un mess de société abandonné tel quel, avec tout ce qu’il contenait (un billard avec son tapis vert, du mobilier et même les guirlandes ayant servi aux derniers réveillons de Noël et Nouvel-An ! Une véritable caverne d’Ali Baba pour les enfants que nous étions… Aussi, ne manquions nous pas de nous y introduire en actionnant le système de fermeture interne que l’on atteignait, juché sur les épaules des plus grands, grâce à un carreau cassé dans le haut de la porte. Nous y avions dérobé quelques belles boules de Noël qui, des années durant, servirent encore à la décoration.

Ce qui allait être notre dernier terme allait prendre fin le dimanche 12 juillet 1959, date de départ et de retour en Belgique (voir l'aperçu détaillé de l'itinéraire par route et par bateau du voyage de retour), via l’Ouganda, le Kenya, le Tanganyika avec embarquement à Mombasa à bord d'un bateau anglais, le "s.s. Rhodesia Castle" de la Union-Castle Line. Destination Londres via Tanga (Tanganyika), Zanzibar (sultanat), Dar-es-Salaam (Tanganyika), Beira (Mozambique), Lourenço Marques (Mozambique), Durban, East London, Port Elizabeth, Cape Town (Afrique du Sud), île de Ste-Hélène, île de l'Ascension, Las Palmas (Grande Canarie) et Londres (Port of Tilbury) destination finale.

Jean-Pol CORNU

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